Débat sur les résultats de l'enquête PISA 2018

04/12/2019

Débat d'actualité avec Mme Caroline Désir, Ministre de l’Éducation, sur les résultats de l'enquête PISA 2018.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Hier, nous avons appris les résultats de la dernière étude PISA (Programme international pour le suivi des acquis), réalisée en 2018. Si les élèves de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont progressé en mathématiques, nous sommes malheureusement toujours en-dessous de la moyenne de 487 en lecture où nous obtenons un score de 481 contre 502 pour la Flandre.

Madame la Ministre, vous avez déjà eu l'occasion de réagir à plusieurs reprises depuis hier, que ce soit en commission de l'Éducation ou dans la presse. Je pourrais résumer vos propos en trois points. Tout d'abord, vous avez fait part de votre envie de redonner le goût de la lecture aux élèves. Vous vous êtes formellement engagée à y parvenir, notamment grâce à des projets comme le quart d'heure quotidien de lecture obligatoire dès la maternelle. Ensuite, dans le cadre du Pacte pour un enseignement d'excellence, vous souhaitez renforcer l'encadrement des élèves en maternelle. Plus de 1000 personnes supplémentaires seront engagées : des instituteurs, des puériculteurs et des logopèdes. Il y aura aussi de nouveaux référentiels en matière de compétences initiales. Enfin, vous avez rappelé que, dans la Déclaration de politique communautaire (DPC), les trois partis au pouvoir s'étaient mis d'accord pour renforcer les apprentissages de base, dont la lecture. C'est un point qui est cher au MR.

Madame la Ministre, je suis assez satisfaite de vos prises de position. Néanmoins, j'aimerais pousser la réflexion un peu plus loin. Hier, j'ai eu l'occasion d'assister à un débat télévisé auquel participaient deux intervenants de qualité, à savoir une professeure en sciences de l'éducation de l'Université de Liège (ULiège), qui est aussi la directrice du groupe chargé de la recherche et de l'analyse des études PISA, et un conseiller pédagogique en français du Secrétariat général de l'enseignement catholique (SeGEC). Tous deux convergent vers trois buts.

Le premier est de renforcer la méthodologie nécessaire à l'appréhension d'un texte. Ainsi, les élèves prendront plus facilement goût à la lecture.

Le second est d'étendre cette stratégie, démarrée dès l'enseignement maternel, à l'enseignement secondaire, voire l'enseignement supérieur.

Le troisième exige que le renforcement soit transversal. Cela signifie que la méthodologie ne doit pas uniquement être enseignée lors du cours de français. Elle est tout aussi utile dans les autres matières, car l'approche de textes scientifiques ou historiques est différente.

Madame la Ministre, la lecture étant un prérequis à tout apprentissage, que pensez-vous de ces propositions concrètes ? Elles pourraient permettre aux élèves de se libérer du sentiment d'être obligé de lire. Nous savons qu'un élève sur deux, en Fédération Wallonie-Bruxelles, lit uniquement parce qu'il y est contraint. S'ils acquièrent une meilleure méthodologie de lecture, ils comprendront mieux les textes qu'ils lisent et y trouveront dès lors plus de plaisir.

Mme Caroline Désir, ministre de l'Éducation.- Mesdames et Messieurs les Députés, je vous remercie pour vos interventions qui sont revenues sur les différents constats et y ont même déjà apporté certaines réponses. Ces tests PISA sont des outils de mesure intéressants. Une nouvelle enquête est réalisée tous les trois ans. À chaque fois, l'accent est mis sur une thématique spécifique : la lecture, les mathématiques ou les sciences. Les résultats permettent à la Fédération Wallonie-Bruxelles de se comparer aux 78 autres pays et territoires de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais aussi de voir son évolution par rapport aux enquêtes précédentes.

S'agissant de l'enquête de cette année, la tendance reste globalement la même en Fédération Wallonie-Bruxelles : les résultats baissent légèrement en lecture, mais augmentent un peu en mathématiques où nous passons, pour une fois, au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE.

Comme Madame Schyns l'a mentionné, le volet qualitatif de cette enquête apporte de nombreux enseignements. En effet, il est basé sur une enquête menée auprès des directions d'établissements et des élèves, lesquels sont interrogés sur le climat au sein de leur établissement ainsi que sur l'environnement scolaire. Certains journaux de la presse écrite ont d'ailleurs relayé ces résultats.

Le constat principal, que je partage avec plusieurs d'entre vous, est que nous restons le très mauvais élève de la classe en matière d'inégalités sociales. Les résultats des tests restent beaucoup trop corrélés à l'origine socio-économique des élèves, ce qui est inacceptable. Or, ce sont ces mêmes constats qui ont été à l'origine de l'élaboration du Pacte. Quand les acteurs se sont concertés pour élaborer la réforme structurelle de notre enseignement, la première étape a été de s'accorder sur les constats avant de dégager les grandes pistes de réponse. Le constat de l'inégalité de notre système scolaire a donc fondé l'élaboration du Pacte.

Ce Pacte, nous l'avons voulu comme une réforme en profondeur, structurelle et systémique. Il s'étendra sur quinze ans. Son objectif est de lutter contre ces inégalités scolaires et, plus généralement, de tirer tous nos élèves vers le haut, sans laisser personne au bord du chemin, tout en renforçant les apprentissages de base.

Pour relever ce défi de taille, il est important de commencer là où les inégalités commencent, c'est-à-dire dans l'enseignement maternel. Le Pacte prévoit de mettre le paquet sur ce niveau d'enseignement, en y renforçant très significativement l'encadrement. Près de 1200 équivalents temps plein ont été ajoutés à cet effet. Ce sont des instituteurs, des logopèdes et des puéricultrices supplémentaires. Mes prédécesseures l'ont fait de manière volontaire en sachant que c'est là que commencent les inégalités. Très vite dans le parcours scolaire, on peut repérer des parcours d'élèves qui vont décrocher. Certains enseignants maternels nous le disent: on peut déjà le constater lorsque les enfants ont 3, 4 ou 5 ans.

En outre, plusieurs mesures viseront à encourager la fréquentation de l'enseignement maternel. On sait qu'une fréquentation régulière est importante. L'âge de l'obligation scolaire va être abaissé à 5 ans.

Le gouvernement a aussi adopté en première lecture le référentiel des compétences initiales. L'Institut de la formation en cours de carrière (IFC) est en train de former 13000 enseignants maternels à ce nouveau référentiel. Le but est de lancer le tronc commun en force dans l'enseignement maternel en 2020.

Par ailleurs, grâce au Pacte et au tronc commun, nous voulons assurer la cohérence et soutenir des pratiques pédagogiques innovantes.

Madame Maison, vous m'avez interrogée sur le manque d'enthousiasme général des jeunes, pas uniquement ceux de notre Fédération, par rapport à la lecture des livres. En découlent tous les problèmes liés à la compréhension à la lecture.

La professeure Lafontaine et le didacticien du Secrétariat général de l'enseignement catholique (SeGEC) m'ont fait part hier d'enseignements très intéressants. Je ne suis ni enseignante ni didacticienne, mais l'écoute des professionnels me fait réaliser qu'il y a beaucoup à faire. Il y a une série d'attendus que l'on va retrouver dans les référentiels. Ces derniers, exception faite des référentiels des compétences initiales, sont toujours en cours d'élaboration dans des groupes de travail regroupant des experts, des enseignants et des didacticiens. Les résultats de ces groupes de travail vont me parvenir dans les prochains mois et suivront ensuite tout le processus d'approbation qui mènera finalement les textes devant ce parlement. Nous allons donc déterminer, année par année, les attendus en termes de compétences et de savoir-faire pour nos élèves.

Madame Maison, votre première interpellation sur la lecture nous avait donné l'occasion d'échanger sur le projet «Silence, on lit!». Nous avions parlé du plaisir de lire, sans que l'enfant soit sanctionné par une interrogation systématique à l'issue d'une lecture. Nous savons que ce qui importe est de transmettre à l'enfant le réflexe et le plaisir de lire. Mme Linard et moi-même envisageons de créer des projets similaires ensemble et avec la collaboration des bibliothèques. Je n'ai pas encore tranché la question de savoir si ces projets vont être rendus obligatoires. Nous sommes attachés à la liberté pédagogique: les référentiels déterminent ce qui doit être appris, tandis que les programmes déterminent la manière d'apprendre. Vous avez dit, Madame Maison, que j'avais le pouvoir. C'est vrai et nous pouvons créer un cadre législatif et modifier des décrets. Cela doit encore être étudié, mais la volonté de donner le goût à la lecture dès le plus jeune âge est en tout cas partagée.

À propos du tronc commun, vous avez tous rappelé la volonté de renforcer les apprentissages de base et de faire appel à différentes expérimentations plus manuelles et artistiques à travers ce tronc commun. Une des pierres angulaires de ce tronc commun sera l'accompagnement personnalisé. C'est une réponse aux difficultés d'apprentissage ainsi qu'aux inégalités scolaires découlant des inégalités sociales. Cet accompagnement personnalisé aura pour but de rapatrier, dans la grille horaire au sein des périodes, des moments où on prend le temps de moduler les apprentissages, de répondre aux particularités de chaque élève et d'individualiser les apprentissages. C'est aussi un moment où l'encadrement sera renforcé en divisant les classes et en prévoyant deux enseignants, etc. L'objectif est de remédier aux difficultés au plus près de là où elles se posent afin d'éviter qu'elles ne s'accumulent, avec pour unique réponse l'échec scolaire, le redoublement... Cet accompagnement personnalisé sera un outil très important dans le dispositif. Des projets pilotes ont été mis en œuvre dans l'enseignement fondamental et dans le premier degré de l'enseignement secondaire. Ils seront prolongés jusqu'à l'arrivée du tronc commun. Ces projets ont permis de tester différentes méthodes d'accompagnement personnalisé et sont suivis par des équipes de recherche des universités et des hautes écoles. Une fois que l'on aura identifié les meilleures pratiques pédagogiques, on pourra ensuite les multiplier. En 2021-2022, année où le tronc commun sera introduit en première et en deuxième primaire, nous viendrons donc avec un accompagnement personnalisé généralisé à l'attention des 113.000 élèves directement concernés.

Parmi les autres dispositifs qui viendront en appui, certains sont déjà d'application aujourd'hui. On connaît les aménagements raisonnables pour les élèves diagnostiqués comme étant à besoins spécifiques. On pense à tous les «dys»(dyspraxiques, dyscalculiques, dyslexiques...) qui ont parfois besoin d'une aide matérielle ou humaine qui peut passer par le recours aux tablettes ou par des aménagements d'horaire pour pouvoir répondre à des exercices. Ces aides veulent répondre à des difficultés ou des troubles de l'apprentissage.

Le dispositif français langue d'apprentissage (FLA) et le dispositif d'accueil et de scolarisation des élèves primo-arrivants et assimilés (DASPA) aideront aussi les élèves qui ne maîtrisent pas suffisamment la langue d'enseignement. Ces dispositifs nous permettront d'agir plus rapidement, dès que la difficulté d'apprentissage se pose.

Enfin, je signale que le processus de rédaction des plans de pilotage par les écoles se poursuit: il est achevé pour celles de la première vague, en cours pour celles de la seconde et va débuter pour celles de la troisième. Elles sont en train de rédiger leur plan de pilotage en vue de conclure des contrats d'objectifs avec la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Notre Fédération a défini une série d'objectifs généraux à atteindre par l'ensemble du système éducatif dans lesquels les établissements vont devoir s'inscrire au travers d'objectifs spécifiques à leur établissement. Parmi ces objectifs généraux figure la réduction progressive du redoublement, car nous sommes champions du monde toutes catégories du recours au redoublement! La Fédération Wallonie-Bruxelles s'est donc fixé pour objectif de réduire celui-ci de 50% à l'horizon 2030. L'objectif est ambitieux, mais la Fédération est vraiment en décrochage par rapport à tous les autres pays, ce qui nous handicape terriblement dans les tests PISA. Ces enquêtes sont en effet réalisées à un âge donné, 15 ans, et non à une année scolaire donnée. Parmi les élèves de 15 ans, un sur deux est en quatrième secondaire, les autres dans les classes de niveau inférieur. Ils ne répondent donc pas de la même façon aux questions de l'enquête. Le recours au redoublement tire notre enseignement vers le bas, il nous faut vraiment le réaliser !

Je terminerai juste en disant que des mesures à moyen et long terme peuvent être prises, mais une série de mesures que je viens d'évoquer sont déjà d'application: les plans de pilotage et les contrats d'objectifs. Le tronc commun entrera aussi en vigueur en 2020 pour toutes les maternelles et en 2021 pour les classes de première et de deuxième primaire. Certaines mesures du Pacte s'appliquent déjà et j'espère que nous en verrons les effets assez rapidement.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Madame la Ministre, vous n'avez pas répondu à ma question. Il est vrai que vous ne disposiez que de dix minutes pour répondre à des interventions s'étendant sur 25 minutes. Nous pourrons y revenir en commission.

J'entends cependant que vous avez été interpellée par les témoignages entendus hier.

Je voudrais attirer votre attention sur l'étude internationale PIRLS (Progress in International Reading Literacy, Programme international de recherche en lecture scolaire) de 2016, qui a évalué les compétences en lecture des élèves de quatrième année primaire. Cette étude souligne une grosse différence entre les pays francophones et anglophones. Les premiers arrêtent très tôt l'apprentissage de la compréhension à la lecture, contrairement aux pays anglophones où il se poursuit tout au long du parcours scolaire obligatoire. Pour la professeure d'université chargée de cette étude, l'approche anglophone a fait ses preuves et la littérature scientifique est assez unanime sur ce point. Je reviendrai plus longuement sur ce sujet en commission.