Interdiction des signes convictionnels pour les enseignants de l'officiel

Question écrite de Mme Stéphanie Cortisse, Députée, à Mme Valérie Glatigny, Ministre de l'Education, concernant l'interdiction du port de signes convictionnels pour les enseignants du réseau officiel
Mme Stéphanie Cortisse, Députée.- Madame la Ministre, la Déclaration de Politique Communautaire prévoit que "le Gouvernement interdira par décret le port de signes convictionnels à tous les enseignants de l'enseignement obligatoire du réseau officiel, à l'exception des professeurs de religion".
Il s'agit d'une problématique qui revient régulièrement à la une de l'actualité, comme encore tout récemment au Conseil Communal de Molenbeek où la "Team Fouad Ahidar" a déposé une motion visant à autoriser le port de signes convictionnels pour les enseignants du communal.
A noter que le décret neutralité en vigueur actuellement et datant de 1994 indique qu'un enseignant "refuse de témoigner en faveur d'un système philosophique ou politique, quel qu'il soit et […] il s'abstient de témoigner en faveur d'un système religieux", mais ce décret ne comporte aucune référence claire aux signes convictionnels. Il n'y a donc actuellement pas encore d'interdiction formelle, de sorte que cela relève de chaque pouvoir organisateur.
Or mon groupe estime que l'interdiction du port de signes convictionnels ostensibles dans l'enseignement officiel est la seule manière de faire prévaloir la loi civile, la liberté de conscience et l'égalité des sexes sur le prescrit religieux. C'est aussi une manière de préserver symboliquement la sphère de l'école de l'intrusion du religieux, mais aussi plus largement de toute forme de pensée dogmatique. Il s'agit de manifester que l'on vient à l'école pour apprendre, ce qui implique de mettre ses certitudes à distance. Cette mesure est d'autant plus nécessaire dans un contexte où le religieux s'impose de plus en plus comme cadre de référence venant entraver certains apprentissages et activités scolaires, voire s'y opposer.
Madame la Ministre, mes questions sont les suivantes :
Où en sont les travaux à cet égard ? Un avant-projet de décret est-il sur la table du Gouvernement ?
Cette interdiction concernera-t-elle bien tant l'enseignement officiel que l'enseignement officiel subventionné des communes et des provinces ?
Quand est prévue l'entrée en vigueur de cette interdiction ?
Je vous remercie déjà pour vos réponses.
Mme Valérie Glatigny, Ministre de l'Education.- Madame la Députée, la Déclaration de Politique Communautaire prévoit que le Gouvernement interdira, par décret, le port de signes convictionnels à tous les enseignants de l'enseignement obligatoire du réseau officiel, à l'exception des professeurs de religion. Cette mesure, qui revient régulièrement dans le débat public, notamment lors de récentes discussions au Conseil communal de Molenbeek, vise à affirmer clairement le principe de neutralité dans l'enseignement et à garantir un cadre scolaire respectueux des libertés fondamentales.
Afin de concrétiser cet engagement, le Gouvernement du 18 juillet 2025 a pu échanger sur un avant-projet de décret relatif à la neutralité dans l'enseignement. Ce texte marque une étape décisive dans la mise en œuvre de cette orientation politique. Il prévoit une interdiction du port de signes convictionnels visibles dans l'exercice des fonctions pour l'ensemble des membres du personnel mais également des élèves des établissements relevant du principe de neutralité ou y adhérant. Cette interdiction s'appliquera également aux étudiants stagiaires, dans l'enceinte de l'école comme en dehors, y compris sur les lieux de stage. Une exception est prévue pour les maîtres et professeurs de religion et de morale, conformément à la jurisprudence du Conseil d'État, qui reconnaît le caractère convictionnel de ces cours.
Le champ d'application du décret est large : il concerne l'enseignement fondamental, secondaire, secondaire pour adultes, ainsi que l'enseignement secondaire artistique à horaire réduit, les internats, les centres psycho-médico-sociaux et les centres de dépaysement et de plein air dépendant de ces écoles. Il couvre tant l'enseignement officiel organisé que l'enseignement officiel subventionné par la Communauté française, ainsi que l'enseignement libre non confessionnel subventionné ayant choisi d'adhérer au principe de neutralité.
L'entrée en vigueur de cette interdiction est prévue pour la rentrée scolaire 2026-2027. Ce délai permettra aux établissements de se préparer à l'application du nouveau cadre, notamment en adaptant leurs règlements d'ordre intérieur.
Au-delà de la question du port de signes convictionnels, ce décret aborde également une problématique essentielle : celle de l'autocensure des enseignants dans la transmission des savoirs. En effet, la disposition actuelle du Code de l'enseignement, qui impose aux enseignants de traiter certaines matières « en des termes qui ne peuvent froisser les opinions et les sentiments d'aucun des élèves », a conduit à des situations où des enseignants renoncent à aborder des contenus pourtant inscrits dans les programmes, par crainte de réactions ou de contestations. Cela concerne des sujets aussi divers que la théorie de l'évolution, les droits humains, l'égalité entre les sexes, les œuvres artistiques, ou encore certains faits historiques.
C'est pourquoi le décret prévoit la suppression de cette disposition. Il est essentiel que les savoirs puissent être dispensés sans autocensure, dans le respect du pluralisme et des convictions de chacun. L'école ne peut se soustraire à sa mission d'instruction et d'éducation. Les enseignants doivent être soutenus et formés pour faire face aux éventuelles contestations, et disposer des moyens nécessaires pour transmettre les savoirs dans un cadre serein et respectueux des valeurs démocratiques.
Ce décret vise à mettre fin à l'hétérogénéité des pratiques entre établissements et à l'insécurité juridique actuelle, en conférant à la neutralité un contenu unique dans le Code de l'enseignement. Il s'appuie sur la jurisprudence, tant nationale qu'européenne, qui reconnaît la marge d'appréciation des États dans la définition de la neutralité. Il s'agit de défendre un modèle d'école qui fait prévaloir la fonction éducative sur les convictions personnelles. et qui assure un environnement éducatif neutre aux fins de respecter les convictions des élèves et de leurs parents. Ce dispositif vise également à mettre l'accent sur la pluralité des valeurs communes dans une société démocratique, laissant à chaque élève le soin de construire librement ses propres convictions. Il contribue à garantir le bon fonctionnement de l'enseignement au regard des missions prioritaires prévues par le Code de l'Enseignement.
Enfin, le décret prévoit la présentation, tous les deux ans, d'un rapport au Parlement sur le respect du principe de neutralité dans les établissements concernés, assurant ainsi un suivi rigoureux de sa mise en œuvre.
Ce projet de décret constitue une avancée majeure pour garantir un cadre scolaire neutre, respectueux des libertés fondamentales, et propice à l'apprentissage et à l'émancipation de tous les élèves.