Intervention sur l'interpellation du PTB par rapport à la grève dans l'enseignement

22/02/2022

Intervention de Mme Stéphanie Cortisse, Députée, sur l'interpellation du PTB à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, intitulée «Demande d'éclaircissements sur les différentes réponses apportées aux enseignants à la suite de leur mouvement de grève»

Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Madame la Ministre, je salue, avec mon groupe, le travail et la résilience dont font preuve tous les acteurs de l'enseignement depuis le début de la crise sanitaire. Ils jouent un rôle essentiel auprès de nos enfants. Je comprends leur besoin de plus de reconnaissance au sein de la société au sens large. Je vous interroge régulièrement en ce sens, notamment sur la revalorisation de l'image de l'enseignant, comme prévu dans la Déclaration de politique communautaire (DPC).

Je vous remercie pour votre engagement, tout comme je remercie le Ministre-Président et les autres membres du Gouvernement pour leur investissement. Contrairement à ce que certains voudraient faire croire, vous n'êtes pas restée les bras croisés face aux problématiques nées ou amplifiées au sein des écoles, à la suite de la crise sanitaire. Nous ne comptons plus les centaines de réunions et de rencontres que vous avez tenues avec tous les acteurs de l'enseignement.

Il me paraît toutefois fondé, à côté de la gestion quotidienne de la crise, d'avoir gardé le cap par rapport aux grandes réformes structurelles, prévues pour améliorer la qualité de notre enseignement. Je n'y vois là aucun mépris de votre part ou de celle des autres membres du Gouvernement. D'ailleurs, depuis deux ans, plusieurs réformes ont été reportées pour permettre aux équipes éducatives de se concentrer sur le cœur de leur métier, à savoir la poursuite des apprentissages des élèves malgré la crise sanitaire. Je m'étonne de l'attitude des organisations syndicales qui semblent parfois oublier qu'elles ont aussi négocié le Pacte pour un enseignement d'excellence. Elles devraient donc continuer à en être pleinement partie prenante.

D'ailleurs, le dispositif d'accompagnement personnalisé apportera un soutien significatif aux enseignants. Cette réforme entrera progressivement en vigueur après la rentrée de septembre 2022. Il s'agira de pérenniser, selon certaines modalités encore à définir, les aides que vous avez instaurées dans le cadre de la crise sanitaire et pour lesquelles vous avez engagé des budgets conséquents, qui ont vraiment soulagé les équipes enseignantes.

Certes, certains estiment que l'enveloppe budgétaire consacrée aux négociations sectorielles est trop petite. Toutefois, ils ne nous expliquent pas comment trouver les fonds supplémentaires. Serait-ce en diminuant les budgets consacrés à la culture, à la jeunesse, à la petite enfance, au sport, à tous ces secteurs qui ont été durement frappés par la crise sanitaire? J'espère que ces personnes n'y songent pas. Il ne faut pas opposer les domaines qui dépendent de la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais nous devons garder à l'esprit la situation budgétaire et les contraintes qui pèsent sur notre Fédération. N'oublions pas que l'enseignement au sens large constitue plus de 70 % des dépenses de la Fédération et qu'il est un des mieux subventionnés de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En outre, la Fédération n'a pas de recettes propres.

Concernant les négociations sectorielles, je salue vivement la volonté de votre Gouvernement de renforcer le soutien administratif des directions de l'enseignement fondamental. Elles en ont grandement besoin. Sur le terrain, il m'en est fait régulièrement la demande et je suis donc ravie des avancées en ce sens.

Madame la Ministre, pourriez-vous refaire le point sur les réformes du Pacte qui seront finalement reportées pour soulager les équipes éducatives? Pourriez-vous nous en dire plus sur les avancées des négociations sectorielles? Certaines mesures concernent les directions de l'enseignement fondamental et d'autres les primes de fin d'année du personnel de l'enseignement. Toutefois, une discussion a-t-elle eu lieu à propos des secteurs qui se sentent moins soutenus par les organisations syndicales, comme les internats?

Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation.- Il y a beaucoup à dire sur un tel sujet. Le Gouvernement a adopté le 10 février 2022, jour de la manifestation et de la grève, un projet de protocole d'accord sectoriel. Le Gouvernement a donc chargé le Ministre-Président, ma collègue Valérie Glatigny, en sa qualité de Ministre de l'Enseignement supérieur et de l'Enseignement de promotion sociale, et moi-même de soumettre ce projet à la concertation des organisations syndicales, des fédérations de pouvoirs organisateurs et de Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE).

Nous rencontrerons donc une nouvelle fois ces interlocuteurs lors de réunions bipartites afin de prendre connaissance de leurs commentaires et réactions sur ce projet de texte. Les réunions avec les fédérations de pouvoirs organisateurs et WBE auront lieu ce jeudi 24 février 2022, tandis que la date définitive pour la réunion avec les organisations syndicales n'a pas encore été fixée, pour la simple et bonne raison que celles-ci ont pris le temps d'en discuter en amont au sein de leurs instances.

La période proposée pour le protocole couvrirait, à titre exceptionnel, les années 2021 à 2024, et ce, pour deux raisons principales. Premièrement, l'arriéré des protocoles est important. Il y a donc une série de mesures issues des protocoles précédents qui n'ont pas encore abouti. Il est donc important de régler cet arriéré et d'instaurer tout ce qui doit encore l'être. Deuxièmement, les circonstances exceptionnelles liées notamment à la pandémie ne nous ont pas permis de mener les négociations dans un délai permettant de conclure un accord pour la période 2021-2022. Nous avons donc voulu rationaliser l'ensemble des discussions pour gagner du temps. L'ambition du Gouvernement n'en est pour autant pas moindre. Le montant de l'enveloppe budgétaire dégagée est en effet quasiment identique au montant cumulé des enveloppes spécifiquement destinées aux trois protocoles précédents. En outre, la formule nous permettra d'utiliser tout le temps qui nous reste avant la fin de la présente législature pour appliquer les volets qualitatifs de l'accord. Le but est d'atteindre des objectifs concrets le plus rapidement possible.

En ce qui concerne les mesures quantitatives et qualitatives transversales relatives à mes compétences, je me concentre ici sur les éléments que vous avez mis en exergue dans vos questions, Mesdames et Messieurs. Je ne serai donc pas exhaustive, car le texte en cours d'examen n'est pas encore parvenu à sa version finale. Je ne suis donc pas en mesure de vous communiquer la date précise de clôture de la présente négociation ni de vous exposer dans ses moindres détails le cahier des charges de certains groupes de travail. J'espère néanmoins que ce cycle de négociations pourra être finalisé rapidement pour que nous puissions commencer le travail le plus tôt possible.

En ce qui concerne l'augmentation de la partie fixe de la prime de fin d'année pour tous les membres du personnel, une harmonisation avec celle des agents de la fonction publique coûterait 29 millions d'euros sur une base annuelle. La différence par membre du personnel est estimée par mes services à 214 euros. Pour combler intégralement ce fossé, le budget de 32 millions d'euros, qui est consacré au présent protocole, devrait donc être presque totalement affecté à cette seule mesure. C'est hors de question, car d'autres demandes sont à satisfaire. Par conséquent, le projet de protocole prévoit d'y consacrer 5 151 500 euros en 2022, 7 541 500 euros en 2023 et enfin 16 669 418 euros par an à partir de 2024. Il est ainsi proposé de poursuivre l'harmonisation à hauteur du même montant que durant la législature précédente, puisque ce travail d'alignement avait été entamé par le Gouvernement précédent. Néanmoins, je tiens à souligner que le contexte budgétaire est actuellement plus difficile. Les acteurs ont tous préféré cette manière de procéder à l'alternative de défiscalisation d'une partie de la prime.

En parallèle, le Gouvernement a également décidé de soutenir les directions de l'enseignement fondamental en augmentant le soutien administratif à ces directions à hauteur de 2,6 millions d'euros en 2022, au démarrage, puis à hauteur de 7,8 millions d'euros à partir de 2023. Dans le cadre de la définition des modalités d'affectation de ces moyens, la piste de la création d'un cadre organique assurant un véritable soutien administratif structurel aux directions va être approfondie. L'ensemble des enveloppes budgétaires déjà consacrées à cette politique seront prises en compte. Si cette piste se concrétise, elle devra intégrer une forme de souplesse, de manière à répondre à diverses situations spécifiques, comme la question des directions avec charge de classes, la mutualisation ou encore les écoles de petite taille.

En complément, pour ce qui est des mesures qualitatives, une réflexion sur un soutien éducatif à l'enseignement fondamental aura lieu, tout en tenant compte des questions de soutenabilité budgétaire.

Je vais maintenant aborder les mesures qualitatives. Il est prévu d'organiser en tripartite les groupes de travail à créer ou ceux qui devront finaliser les dossiers en cours. Les services du gouvernement seront chargés de réaliser le travail relatif à certaines mesures, tout en étant soumis aux procédures de concertation.

Sur le plan qualitatif, les organisations syndicales ont fait de la lutte contre la pénurie d'enseignants leur revendication principale. Si elle est abordée non seulement à travers le caractère systémique du Pacte et de la réforme de la formation initiale des enseignants, elle l'est également de manière transversale grâce à des mesures ayant pour objectif d'améliorer les conditions de travail de l'ensemble des membres du personnel. Le Gouvernement s'est ainsi engagé à finaliser les travaux du groupe de travail relatif aux enseignants de seconde carrière, ainsi qu'à améliorer la visibilité et l'attractivité de l'enseignement pour les futurs étudiants et les personnes intéressées par une reconversion professionnelle. Le projet de protocole prévoit de solliciter les services régionaux de l'emploi, c'est-à-dire le FOREM, Actiris, mais aussi le Vlaamse Dienst voor Arbeidsbemiddeling en Beroepsopleiding (VDAB) et l'Arbeitsamt der Deutschsprachigen Gemeinschaft Belgiens (ADG). Les objectifs du projet de protocole sont, d'une part, de développer une politique proactive à l'égard des demandeurs d'emploi ayant montré leur intérêt pour l'enseignement et, d'autre part, de faire connaître les services de ces opérateurs auprès des écoles. Dans le cadre des budgets existants, le Gouvernement s'engage à lancer une campagne de promotion des métiers de l'enseignement.

Par ailleurs, la proposition en cours consiste à demander au groupe de travail «Taille des classes» d'analyser et de formuler des pistes concrètes pour améliorer les situations les plus complexes sur le terrain, à coût constant, en commençant par un travail sur toutes les conditions de dérogation aux normes en vigueur. Des dispositions décrétales existent en effet déjà à ce sujet. Nous ne partons donc pas de rien.

Une évaluation qualitative du décret du 30 avril 2009 organisant un encadrement différencié au sein des établissements scolaires de la Communauté française afin d'assurer à chaque élève des chances égales d'émancipation sociale dans un environnement pédagogique de qualité est également planifiée.

Pour ce qui est du bien-être des membres du personnel, les services du Gouvernement, en concertation avec les partenaires sociaux, seront chargés d'établir des propositions relatives au droit à la déconnexion, en vue de les intégrer dans chacun des statuts.

Le risque d'encommissionnement du dossier existe bel et bien. Je suggèrerai dès lors au gouvernement qu'un échéancier des travaux soit prévu dans la version définitive du protocole. Il conviendra de produire des effets concrets de la façon la plus efficace possible.

J'ai déjà très souvent dit que je ne suis pas sourde aux doléances et messages que l'on m'adresse, qu'ils émanent des enseignants ou de tous les autres acteurs de l'enseignement. Le contexte est extrêmement difficile pour la troisième année scolaire consécutive. C'est évidemment lié à la crise sanitaire, mais tout cela est venu exacerber une série de problèmes structurels de notre enseignement. Nous pensons aux bâtiments scolaires, aux conditions de travail, aux problèmes de pénurie, etc. Pour pallier ces problèmes, nous sommes en pleine négociation d'un accord sectoriel.

Des réformes liées au Pacte pour un enseignement d'excellence doivent entrer en vigueur prochainement. Cependant, il est évident qu'il y a beaucoup de problèmes qui s'enchevêtrent. Il faut pouvoir les séparer pour y répondre. De manière très systématique, je rencontre les différents acteurs institutionnels bilatéralement environ toutes les six semaines, en plus des réunions du Comité de concertation du Pacte, des réunions de suivi sanitaire, etc. À cela, il faut ajouter les réunions de toutes les associations de direction que j'organise plusieurs fois par an. On peut me reprocher beaucoup de choses ou ne pas être d'accord avec la méthode du Gouvernement, mais on ne peut affirmer que je ne me concerte pas avec les acteurs du secteur. Cela a été souligné par certaines d'entre vous. Comment les décisions percolent-elles jusque chaque enseignant, chaque membre de personnel? C'est une autre question. Il est bien entendu possible d'améliorer notre communication ou celle des organisations syndicales. Nous devons nous poser plein de questions. Par exemple, comment arrive-t-on à une incompréhension pareille? Chacun peut évidemment faire sa part de travail à ce sujet.

J'ai déjà répondu plusieurs fois sur les barèmes, sujet essentiel s'il en est. Mon propos se trouve désormais traduit dans le projet de protocole. Celui-ci prévoit bien d'entamer les discussions durant la présente législature pour préparer, creuser et chiffrer toutes les hypothèses de création d'un barème spécifique. Nous travaillerons dans cette direction pour faire mûrir le dossier, en sachant que la première cohorte de diplômés ne sortira qu'au plus tôt en 2027. Ces travaux n'éluderont pas la question de la maîtrise budgétaire des articles de base des traitements et les éventuelles évolutions organisationnelles et/ou statutaires. En effet, nous devons tous être animés par un même but, celui de la soutenabilité financière de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La réalisation de l'étude visant à objectiver le temps de travail des personnels de l'enseignement à tous les niveaux de l'enseignement obligatoire et de l'enseignement secondaire artistique à horaire réduit (ESHAR) sera une de mes priorités absolues dans la mise en œuvre des engagements du Gouvernement. Elle concernera également les directions et sera menée sur la base de données objectives. En outre, elle sera réalisée conformément à un cahier des charges préalablement concerté dans un cadre tripartite.

Un groupe de travail spécifique aux puériculteurs et puéricultrices sera également créé. Ses membres seront chargés d'analyser et de formuler des propositions concrètes sur le statut de ces membres du personnel. Le but est de clarifier leurs missions au sein des équipes maternelles et d'envisager des pistes de révision de leur statut et des possibilités de statutarisation.

Le personnel administratif et ouvrier (PAPO) des écoles n'a pas été oublié dans le projet de protocole. En ce qui concerne l'enseignement subventionné, le Gouvernement s'engage à intégrer mutatis mutandis le personnel administratif dans le décret du 1er février 1993 fixant le statut des membres du personnel subsidiés de l'enseignement libre subventionné. Cette mesure qui est prévue depuis le protocole 2013-2014 n'a à ce jour pas été mise en œuvre. Pour le PAPO relevant du décret du 12 mai 2004 fixant le statut des membres du personnel administratif, du personnel de maîtrise, gens de métier et de service des établissements d'enseignement organisé par la Communauté française, les revendications de leurs représentants ne concernaient pas toujours le pouvoir régulateur, mais bien souvent le pouvoir organisateur. C'est pourquoi nous leur proposons la création de deux groupes de travail spécifiques. Il est exact qu'un budget de 500 000 euros en année pleine leur sera réservé pour une mesure spécifique au PAPO. Nous devons encore nous entretenir avec leurs représentants sur le sujet. Cependant, je précise que cette mesure vient bien s'ajouter au bénéfice de celle relative à l'augmentation de la prime, qui les concerne évidemment aussi.

Enfin, je vous confirme que le Gouvernement a décidé de reporter d'un an l'entrée en vigueur du dossier d'accompagnement de l'élève (DAccE). Cette année de report permettra aux équipes de disposer de plus de temps pour s'approprier l'outil, le tester et penser son intégration dans les processus de travail et conseils de classe. Cette décision vise exclusivement à soulager les équipes dans le contexte actuel, et facilitera par ailleurs l'utilisation de ce nouvel outil pour la rentrée de 2023.

Au sujet de l'accompagnement personnalisé, je vous envoie à la réponse que j'ai adressée à Mme Cortisse il y a deux semaines en Commission. Il était toutefois important pour nous de bien maintenir l'entrée en vigueur de cet accompagnement en même temps que le démarrage du tronc commun, car ces aides seront nécessaires tant pour les élèves qui démarrent leur parcours scolaire que pour les équipes éducatives sur le terrain.

Quant au texte sur la réforme des rythmes scolaires, vous aurez peut-être constaté qu'il était inscrit en troisième lecture à l'ordre du jour de la séance du Gouvernement de ce jeudi.

Enfin, concernant le dispositif d'évaluation des enseignants, il faut un peu remettre les pendules à l'heure et cesser de communiquer de manière erronée sur ce sujet. Ce dispositif repose avant tout sur le développement des compétences professionnelles et vise d'abord à valoriser et à soutenir les membres du personnel en rendant possible un feedback positif sur leur travail. Il doit permettre également à chacun d'évoluer dans sa pratique professionnelle. L'évaluation telle que nous l'avons imaginée repose sur deux volets clairement distincts, dont le premier, qui constitue le cœur de cible de la réforme, ne pourra pas avoir de conséquences statutaires. Le second, qui pourrait par contre, le cas échéant, entraîner des sanctions, ne serait ouvert que lorsque le membre du personnel aurait fait preuve de mauvaise volonté manifeste ou de dysfonctionnements répétés, et cela dans le respect de conditions strictes et d'une procédure garantissant les droits du membre du personnel concerné. Le processus sera bien sûr mis en œuvre dans le cadre d'un dialogue reposant sur la confiance entre les différentes parties et ne pourra en aucun cas être utilisé comme un moyen de pression. Les balises introduites en ce sens dans le dispositif devront être respectées et des possibilités de recours sont bien prévues dans le texte en projet. J'insiste vraiment sur le fait que l'évaluation telle qu'elle est envisagée ne vient pas de nulle part; elle s'inspire de ce qui se fait dans presque tous les milieux professionnels - dont la fonction publique - et est conforme à l'avis n° 3 du Groupe central. Il est important de répéter qu'elle doit s'appuyer sur une vision positive de l'évaluation, comme doit l'être également celle pratiquée par les enseignants avec leurs élèves, en ayant pour but de valoriser les réussites, faire progresser et donner confiance en soi.