Intervention sur l'interpellation du PTB par rapport à l'évaluation des enseignants

28/02/2023

Intervention de Mme Stéphanie Cortisse, Députée (MR), sur l'interpellation de M. Jean-Pierre Kerckhofs (PTB) à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, à propos des conditions de travail et de l'évaluation des enseignants

Mme Stéphanie Cortisse (MR). – Madame la Ministre, à l'ordre du jour de la séance du gouvernement du 21 décembre 2022 figurait l'adoption, en première lecture, de l'avant-projet de décret relatif au soutien, au développement des compétences professionnelles et à l'évaluation des personnels de l'enseignement. J'insiste fortement sur ces trois composantes.

En effet, on ne parle pas uniquement d'une évaluation, mais aussi d'un mécanisme systématique de soutien et de développement des compétences professionnelles des enseignants.

L'instauration d'un tel mécanisme fait suite à de multiples retours et études qui montrent que l'une des sources du mal-être des enseignants est de se retrouver trop isolée et trop seule dans l'exercice de leur métier. Ils ne reçoivent jamais de retours positifs ou négatifs sur la façon dont ils exercent leur métier ou à propos des réalités spécifiques et concrètes qu'ils vivent dans les classes. En outre, un grand nombre de jeunes enseignants quittent la profession dans les cinq premières années, notamment parce que l'accompagnement lors de leurs premiers pas dans le métier est insuffisant. En effet, après leur formation initiale, ils sont plongés dans la réalité scolaire sans accompagnement et sans feedback. La possibilité de bénéficier d'un plan de développement des compétences professionnelles tend à répondre à ces difficultés et constituera également une opportunité pour le membre du personnel qui souhaite améliorer ses compétences, approfondir ses connaissances et ses pratiques.

Mon groupe soutient donc cette réforme de nature à accompagner l'immense majorité des enseignants qui s'investissent dans leur métier, que ce soit par le dialogue ou par la formation en cours de carrière qui est primordiale.

Madame la Ministre, j'ai déjà pu vous interroger à ce sujet en commission le 24 janvier dernier.

Cette réforme est expressément prévue par l'avis n° 3 du Groupe central du Pacte, un texte qui a été négocié par tous les acteurs de l'enseignement, en ce compris les organisations syndicales.

Or l'avis n°3 prévoyait déjà expressément en 2016 «que le processus d'évaluation des enseignants est essentiellement un processus d'évaluation formatif. Ce n'est qu'en cas de mauvaise volonté manifeste ou de carences manifestes et répétées par rapport aux points d'attention spécifiques et aux solutions identifiées avec le membre du personnel dans le cadre de la procédure d'évaluation formative qu'une procédure spécifique pourra être entamée dans un cadre strict et statutairement défini qui permettra de garantir le caractère impartial, exceptionnel et contradictoire de la procédure».

L'avis n°3, négocié par les syndicats, prévoit plus précisément qu' «un suivi des points d'attention et d'amélioration individuels est réalisé par le directeur ou, le cas échéant, le coordinateur pédagogique/enseignement expérimenté, selon une périodicité à déterminer, procédure d'évaluation formative. Ce suivi fait l'objet d'un document cosigné par les deux parties reprenant les points d'évolution positive et, le cas échéant, les points restant à améliorer.» Le texte poursuit: «En cas de mauvaise volonté manifeste ou de carences manifestes et répétées par rapport aux points d'attention spécifiques et aux solutions identifiées avec le membre du personnel dans le cadre de la procédure d'évaluation formative, alors une procédure d'évaluation défavorable peut être enclenchée par le chef d'établissement.» Dans cette hypothèse, «on sort de la procédure d'évaluation formative pour entrer dans une procédure d'évaluation sommative, dont les modalités devront être définies dans un cadre statutaire. En toute hypothèse, ces modalités devront garantir en évitant les lourdeurs administratives l'impartialité de la procédure, son caractère contradictoire et exceptionnel. Dans cette hypothèse, l'évaluation sera menée par le pouvoir organisateur (PO) sur la base d'un rapport du directeur. Si le PO confirme la proposition du directeur, un recours pourra être intenté à l'encontre de chaque évaluation défavorable devant une instance tierce et impartiale. En cas d'évaluation défavorable, un entretien avec le PO et le directeur fixe des objectifs que le membre du personnel doit atteindre pour retrouver une évaluation favorable. Dans ce cas exceptionnel, la répétition de deux mentions défavorables consécutives sur deux années scolaires distinctes peut conduire à la fin de la relation de travail avec l'enseignant.»

Tout cela prouve bien, chers collègues, que la Ministre n'a rien inventé: le projet de décret qui nous occupe applique simplement l'avis n°3 du Groupe central.

Mon groupe et moi-même estimons donc qu'il est particulièrement malvenu et déloyal, de la part des syndicats, de faire croire le contraire et de propager des fake-news et autres contre-vérités à propos de cette réforme auprès de leurs affiliés.

Certains acteurs de l'enseignement m'ont eux-mêmes fait part d'une campagne de désinformation sur le terrain. Ils regrettent l'image négative de leur profession que projettent les syndicats en refusant l'évaluation des enseignants, alors qu'ils l'ont acceptée en acceptant le Pacte pour un enseignement d'excellence. Plus que jamais, le secteur a besoin d'une revalorisation dans l'opinion publique; à cet égard, le comportement actuel des syndicats est délétère.

Pourquoi le secteur de l'enseignement serait-il le seul à ne pas être totalement évalué alors qu'un processus d'évaluation est prévu partout ailleurs, que ce soit dans le secteur privé ou dans la fonction publique?

Madame la Ministre, pourriez-vous à nouveau expliquer les deux volets distincts de l'évaluation qui sont prévus dans le projet de décret, conformément au Pacte? Pourriez-vous rappeler les balises fixées pour l'évaluation sommative? Afin de démystifier la réforme, de lutter contre la propagation d'informations erronées et de restaurer la sérénité des débats, pourriez-vous communiquer, sans tarder, des informations détaillées aux équipes éducatives?

Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation. – Mesdames les Députées, Messieurs les Députés, vos interventions me donnent l'occasion de faire le point sur ce dossier important. Comme je l'ai déjà déclaré en amont de l'adoption en première lecture par le gouvernement de l'avant-projet de décret relatif au soutien, au développement des compétences professionnelles et à l'évaluation des personnels de l'enseignement, nous avons organisé plusieurs réunions bilatérales avec les acteurs de l'enseignement afin de tenir compte au maximum de leurs demandes tout en respectant les balises fixées par l'avis n°3 du Pacte pour un enseignement d'excellence.

Nous avons directement apporté pas moins de quinze améliorations au dispositif afin de répondre aux interpellations des syndicats. À cet égard, je rappelle encore une fois que certains points ont été clarifiés pour éviter toute ambiguïté par rapport au rôle du délégué à la direction. Le texte est clair: il exclut toute forme d'évaluation par les pairs.

Le processus s'est achevé par une réunion trilatérale avec les représentants des organisations syndicales, des fédérations de pouvoirs organisateurs et Wallonie Bruxelles Enseignement. Il avait été annoncé aux participants que cette réunion faisait office de Comité de concertation; la rencontre s'est d'ailleurs déroulée exactement durant la plage horaire habituelle du Comité. Les fédérations d'associations de parents ont par ailleurs été informées du processus. Un premier tour de concertation réglementairement prévu avec, d'une part, les fédérations de pouvoirs organisateurs et Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) et, d'autre part, les organisations syndicales s'est terminé le lundi 13 février 2023.

Les réunions de concertation ont permis aux délégations syndicales de formuler de nouvelles propositions visant à renforcer encore un peu plus la protection des membres du personnel dans le cadre de la présente procédure. Le jeudi 2 mars 2023, je présenterai au gouvernement l'ensemble des remarques formulées par les acteurs institutionnels et mes propositions de réponse.

Le processus de négociation n'est donc pas finalisé, puisque mon cabinet a indiqué aux participants qu'un deuxième tour de discussions serait effectué durant la deuxième quinzaine du mois de mars. À cette occasion, des indications seront données sur les demandes que le gouvernement pourrait suivre ou pas. Nous faisons donc des allers-retours avec le gouvernement, puisque, quand on change de manière un peu substantielle le texte, il faut régulièrement faire rapport des avancées. Ni les fédérations de pouvoirs organisateurs, ni WBE, ni les syndicats n'ont donc remis leur avis officiel sur le texte à ce stade. Tout cela se fait dans le strict respect des procédures de négociation légales.

Je rappelle que les organisations syndicales ont été conviées le 9 février 2023 par les cabinets de la ministre de l'Enseignement de la promotion sociale et le mien, dans le cadre des concertations officielles, c'est-à-dire dans le cadre de la négociation syndicale au sein du Comité de négociation de secteur IX, du Comité des services publics provinciaux et locaux – section II et du Comité de négociation pour les statuts des personnels de l'enseignement libre subventionné, selon la procédure de l'arrêté royal du 28 septembre 1984 portant exécution de la loi du 19 décembre 1974 organisant les relations entre les autorités publiques et les syndicats des agents relevant de ces autorités.

Plusieurs syndicats ont en effet déclaré qu'ils quitteraient les travaux d'accompagnement du Pacte si la possibilité de la fin de fonction pour un membre du personnel à l'issue du processus d'évaluation n'était pas retirée. Sur ce point, je veux rappeler que cette possibilité n'adviendrait qu'au terme d'une procédure comprenant notamment deux auditions, un plan d'accompagnement et deux possibilités de recours, et qu'elle ne viserait que des situations où, malgré un accompagnement préalable, le membre du personnel continuerait à présenter des carences manifestes et répétées ou à faire preuve de mauvaise volonté manifeste. Il m'importe d'insister sur le fait que la signification de fin de fonction restera une mesure exceptionnelle et que le dispositif porté par le texte permet avant tout un soutien et un accompagnement au développement des compétences professionnelles.

J'insiste sur le besoin que nous considérions tous ensemble l'importance de la prévention concernant les départs anticipés du métier dans le cadre de la lutte contre la pénurie des enseignants. C'est nécessaire pour retenir des jeunes enseignants, notamment ceux de seconde carrière dans les premières années de leur métier, et pour les accompagner dans leurs difficultés éventuelles.

Pour ma part, je reste déterminée à mener les négociations à leur terme avec tous les acteurs, y compris ceux qui ont choisi de ne pas participer aux travaux du dernier Comité de concertation. Ma posture se veut avant tout constructive, l'objectif étant d'avoir une procédure équilibrée, qui respecte le droit des travailleurs et qui leur offre un niveau de protection similaire à celui des procédures de fin de fonction en vigueur, tout en tenant compte de la spécificité de la logique d'évaluation.

Les nouveaux textes ne traitent pas de faits disciplinaires et nous ne parlons donc pas en termes de «faute», car le texte en question porte sur les carences dans l'exercice même du métier.

J'en viens à la question de la taille des classes. S'il y aura à terme lieu d'envisager une refonte du mode de calcul permettant de définir des normes de taille de classe lors de l'établissement du tronc commun et des années qui suivent, la question n'est pas prévue à ce stade par la Déclaration de politique communautaire pour la législature actuelle. La note adoptée par le gouvernement en décembre dernier s'inscrit donc dans un cadre budgétaire constant et propose que le pouvoir régulateur engage des mécanismes de contrôle renforcé du respect de la taille des classes. Cela a toujours été communiqué aux organisations syndicales qui sont pleinement conscientes de cette thématique depuis le début des discussions. Comme je vous l'ai déjà dit, mes services ne disposent malheureusement pas de chiffres permettant d'objectiver les tailles des groupes-classes dans l'enseignement secondaire, contrairement aux informations concernant l'enseignement primaire et maternel. Les principes envisagés visent un changement de culture dans l'approche des possibilités de dérogation. Depuis la rentrée de janvier, mon cabinet, les services de l'administration et les acteurs institutionnels de l'enseignement se sont concertés à propos des modalités de mise en œuvre de ces principes. Des mesures ont été présentées par niveaux d'enseignement maternel, primaire et secondaire. La prochaine étape sera de réunir l'ensemble des acteurs pour qu'ils puissent confronter leurs points de vue. Cette réunion est prévue juste après les congés de détente. Je transmettrai ensuite le résultat de cette entrevue au gouvernement.