Intervention sur l'interpellation du PTB par rapport à l'évaluation des enseignants
Intervention de Mme Stéphanie Cortisse, Députée (MR), sur l'interpellation de M. Jean-Pierre Kerckhofs (PTB) à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, à propos des conditions de travail et de l'évaluation des enseignants
Mme Stéphanie Cortisse (MR). – Madame la Ministre, à l'ordre du jour de la séance du gouvernement du 21 décembre 2022 figurait l'adoption, en première lecture, de l'avant-projet de décret relatif au soutien, au développement des compétences professionnelles et à l'évaluation des personnels de l'enseignement. J'insiste fortement sur ces trois composantes.
En effet, on ne parle pas uniquement d'une évaluation, mais aussi d'un mécanisme systématique de soutien et de développement des compétences professionnelles des enseignants.
L'instauration d'un tel mécanisme
fait suite à de multiples retours et études qui montrent que l'une des sources
du mal-être des enseignants est de se retrouver trop isolée et trop seule dans
l'exercice de leur métier. Ils ne reçoivent jamais de retours positifs ou
négatifs sur la façon dont ils exercent leur métier ou à propos des réalités
spécifiques et concrètes qu'ils vivent dans les classes. En outre, un grand
nombre de jeunes enseignants quittent la profession dans les cinq premières
années, notamment parce que l'accompagnement lors de leurs premiers pas dans le
métier est insuffisant. En effet, après leur formation initiale, ils sont
plongés dans la réalité scolaire sans accompagnement et sans feedback. La
possibilité de bénéficier d'un plan de développement des compétences
professionnelles tend à répondre à ces difficultés et constituera également une
opportunité pour le membre du personnel qui souhaite améliorer ses compétences,
approfondir ses connaissances et ses pratiques.
Mon groupe soutient donc cette
réforme de nature à accompagner l'immense majorité des enseignants qui
s'investissent dans leur métier, que ce soit par le dialogue ou par la
formation en cours de carrière qui est primordiale.
Madame la Ministre, j'ai déjà pu
vous interroger à ce sujet en commission le 24 janvier dernier.
Cette réforme est expressément
prévue par l'avis n° 3 du Groupe central du Pacte, un texte qui a été négocié
par tous les acteurs de l'enseignement, en ce compris les organisations
syndicales.
Or l'avis n°3 prévoyait déjà
expressément en 2016 «que le processus d'évaluation des enseignants est
essentiellement un processus d'évaluation formatif. Ce n'est qu'en cas de
mauvaise volonté manifeste ou de carences manifestes et répétées par rapport
aux points d'attention spécifiques et aux solutions identifiées avec le membre
du personnel dans le cadre de la procédure d'évaluation formative qu'une
procédure spécifique pourra être entamée dans un cadre strict et statutairement
défini qui permettra de garantir le caractère impartial, exceptionnel et
contradictoire de la procédure».
L'avis n°3, négocié par les
syndicats, prévoit plus précisément qu' «un suivi des points d'attention et
d'amélioration individuels est réalisé par le directeur ou, le cas échéant, le
coordinateur pédagogique/enseignement expérimenté, selon une périodicité à
déterminer, procédure d'évaluation formative. Ce suivi fait l'objet d'un
document cosigné par les deux parties reprenant les points d'évolution positive
et, le cas échéant, les points restant à améliorer.» Le texte poursuit: «En cas
de mauvaise volonté manifeste ou de carences manifestes et répétées par rapport
aux points d'attention spécifiques et aux solutions identifiées avec le membre
du personnel dans le cadre de la procédure d'évaluation formative, alors une
procédure d'évaluation défavorable peut être enclenchée par le chef
d'établissement.» Dans cette hypothèse, «on sort de la procédure d'évaluation
formative pour entrer dans une procédure d'évaluation sommative, dont les modalités
devront être définies dans un cadre statutaire. En toute hypothèse, ces
modalités devront garantir en évitant les lourdeurs administratives
l'impartialité de la procédure, son caractère contradictoire et exceptionnel.
Dans cette hypothèse, l'évaluation sera menée par le pouvoir organisateur (PO)
sur la base d'un rapport du directeur. Si le PO confirme la proposition du
directeur, un recours pourra être intenté à l'encontre de chaque évaluation
défavorable devant une instance tierce et impartiale. En cas d'évaluation
défavorable, un entretien avec le PO et le directeur fixe des objectifs que le
membre du personnel doit atteindre pour retrouver une évaluation favorable.
Dans ce cas exceptionnel, la répétition de deux mentions défavorables
consécutives sur deux années scolaires distinctes peut conduire à la fin de la
relation de travail avec l'enseignant.»
Tout cela prouve bien, chers
collègues, que la Ministre n'a rien inventé: le projet de décret qui nous
occupe applique simplement l'avis n°3 du Groupe central.
Mon groupe et moi-même estimons
donc qu'il est particulièrement malvenu et déloyal, de la part des syndicats,
de faire croire le contraire et de propager des fake-news et autres
contre-vérités à propos de cette réforme auprès de leurs affiliés.
Certains acteurs de
l'enseignement m'ont eux-mêmes fait part d'une campagne de désinformation sur
le terrain. Ils regrettent l'image négative de leur profession que projettent
les syndicats en refusant l'évaluation des enseignants, alors qu'ils l'ont
acceptée en acceptant le Pacte pour un enseignement d'excellence. Plus que
jamais, le secteur a besoin d'une revalorisation dans l'opinion publique; à cet
égard, le comportement actuel des syndicats est délétère.
Pourquoi le secteur de l'enseignement serait-il le seul à ne pas être totalement évalué alors qu'un processus d'évaluation est prévu partout ailleurs, que ce soit dans le secteur privé ou dans la fonction publique?
Madame la Ministre, pourriez-vous à nouveau expliquer les deux volets distincts de l'évaluation qui sont prévus dans le projet de décret, conformément au Pacte? Pourriez-vous rappeler les balises fixées pour l'évaluation sommative? Afin de démystifier la réforme, de lutter contre la propagation d'informations erronées et de restaurer la sérénité des débats, pourriez-vous communiquer, sans tarder, des informations détaillées aux équipes éducatives?
Mme Caroline Désir, Ministre
de l'Éducation. – Mesdames les Députées, Messieurs les Députés, vos
interventions me donnent l'occasion de faire le point sur ce dossier important.
Comme je l'ai déjà déclaré en amont de l'adoption en première lecture par le
gouvernement de l'avant-projet de décret relatif au soutien, au développement
des compétences professionnelles et à l'évaluation des personnels de
l'enseignement, nous avons organisé plusieurs réunions bilatérales avec les
acteurs de l'enseignement afin de tenir compte au maximum de leurs demandes
tout en respectant les balises fixées par l'avis n°3 du Pacte pour un
enseignement d'excellence.
Nous avons directement apporté
pas moins de quinze améliorations au dispositif afin de répondre aux
interpellations des syndicats. À cet égard, je rappelle encore une fois que
certains points ont été clarifiés pour éviter toute ambiguïté par rapport au rôle
du délégué à la direction. Le texte est clair: il exclut toute forme
d'évaluation par les pairs.
Le processus s'est achevé par une
réunion trilatérale avec les représentants des organisations syndicales, des
fédérations de pouvoirs organisateurs et Wallonie Bruxelles Enseignement. Il
avait été annoncé aux participants que cette réunion faisait office de Comité
de concertation; la rencontre s'est d'ailleurs déroulée exactement durant la
plage horaire habituelle du Comité. Les fédérations d'associations de parents
ont par ailleurs été informées du processus. Un premier tour de concertation
réglementairement prévu avec, d'une part, les fédérations de pouvoirs
organisateurs et Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) et, d'autre part, les
organisations syndicales s'est terminé le lundi 13 février 2023.
Les réunions de concertation ont
permis aux délégations syndicales de formuler de nouvelles propositions visant
à renforcer encore un peu plus la protection des membres du personnel dans le
cadre de la présente procédure. Le jeudi 2 mars 2023, je présenterai au
gouvernement l'ensemble des remarques formulées par les acteurs institutionnels
et mes propositions de réponse.
Le processus de négociation n'est donc pas finalisé, puisque mon cabinet a indiqué aux participants qu'un deuxième tour de discussions serait effectué durant la deuxième quinzaine du mois de mars. À cette occasion, des indications seront données sur les demandes que le gouvernement pourrait suivre ou pas. Nous faisons donc des allers-retours avec le gouvernement, puisque, quand on change de manière un peu substantielle le texte, il faut régulièrement faire rapport des avancées. Ni les fédérations de pouvoirs organisateurs, ni WBE, ni les syndicats n'ont donc remis leur avis officiel sur le texte à ce stade. Tout cela se fait dans le strict respect des procédures de négociation légales.
Je rappelle que les organisations syndicales ont été conviées le 9 février 2023 par les cabinets de la ministre de l'Enseignement de la promotion sociale et le mien, dans le cadre des concertations officielles, c'est-à-dire dans le cadre de la négociation syndicale au sein du Comité de négociation de secteur IX, du Comité des services publics provinciaux et locaux – section II et du Comité de négociation pour les statuts des personnels de l'enseignement libre subventionné, selon la procédure de l'arrêté royal du 28 septembre 1984 portant exécution de la loi du 19 décembre 1974 organisant les relations entre les autorités publiques et les syndicats des agents relevant de ces autorités.
Plusieurs syndicats ont en effet
déclaré qu'ils quitteraient les travaux d'accompagnement du Pacte si la
possibilité de la fin de fonction pour un membre du personnel à l'issue du
processus d'évaluation n'était pas retirée. Sur ce point, je veux rappeler que
cette possibilité n'adviendrait qu'au terme d'une procédure comprenant
notamment deux auditions, un plan d'accompagnement et deux possibilités de
recours, et qu'elle ne viserait que des situations où, malgré un accompagnement
préalable, le membre du personnel continuerait à présenter des carences
manifestes et répétées ou à faire preuve de mauvaise volonté manifeste. Il
m'importe d'insister sur le fait que la signification de fin de fonction
restera une mesure exceptionnelle et que le dispositif porté par le texte
permet avant tout un soutien et un accompagnement au développement des
compétences professionnelles.
J'insiste sur le besoin que nous
considérions tous ensemble l'importance de la prévention concernant les départs
anticipés du métier dans le cadre de la lutte contre la pénurie des
enseignants. C'est nécessaire pour retenir des jeunes enseignants, notamment
ceux de seconde carrière dans les premières années de leur métier, et pour les
accompagner dans leurs difficultés éventuelles.
Pour ma part, je reste déterminée
à mener les négociations à leur terme avec tous les acteurs, y compris ceux qui
ont choisi de ne pas participer aux travaux du dernier Comité de concertation.
Ma posture se veut avant tout constructive, l'objectif étant d'avoir une
procédure équilibrée, qui respecte le droit des travailleurs et qui leur offre
un niveau de protection similaire à celui des procédures de fin de fonction en
vigueur, tout en tenant compte de la spécificité de la logique d'évaluation.
Les nouveaux textes ne traitent
pas de faits disciplinaires et nous ne parlons donc pas en termes de «faute»,
car le texte en question porte sur les carences dans l'exercice même du métier.
J'en viens à la question de la
taille des classes. S'il y aura à terme lieu d'envisager une refonte du mode de
calcul permettant de définir des normes de taille de classe lors de
l'établissement du tronc commun et des années qui suivent, la question n'est
pas prévue à ce stade par la Déclaration de politique communautaire pour la
législature actuelle. La note adoptée par le gouvernement en décembre dernier
s'inscrit donc dans un cadre budgétaire constant et propose que le pouvoir
régulateur engage des mécanismes de contrôle renforcé du respect de la taille
des classes. Cela a toujours été communiqué aux organisations syndicales qui
sont pleinement conscientes de cette thématique depuis le début des
discussions. Comme je vous l'ai déjà dit, mes services ne disposent
malheureusement pas de chiffres permettant d'objectiver les tailles des
groupes-classes dans l'enseignement secondaire, contrairement aux informations
concernant l'enseignement primaire et maternel. Les principes envisagés visent un
changement de culture dans l'approche des possibilités de dérogation. Depuis la
rentrée de janvier, mon cabinet, les services de l'administration et les
acteurs institutionnels de l'enseignement se sont concertés à propos des
modalités de mise en œuvre de ces principes. Des mesures ont été présentées par
niveaux d'enseignement maternel, primaire et secondaire. La prochaine étape
sera de réunir l'ensemble des acteurs pour qu'ils puissent confronter leurs
points de vue. Cette réunion est prévue juste après les congés de détente. Je
transmettrai ensuite le résultat de cette entrevue au gouvernement.