Question sur l'autocensure des enseignants

24/05/2022

Question orale de Mme Stéphanie Cortisse, Députée (MR), à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, à propos de l'autocensure des enseignants

Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Au vu de la récente enquête menée par le Centre d'action laïque (CAL) à propos de l'autocensure des enseignants - selon laquelle 40 % des enseignants avouent avoir déjà renoncé à aborder un sujet avec leurs élèves ou décidé d'en limiter le champ de réflexion pour éviter toute complication ultérieure -, vous avez annoncé en mai 2021, Madame la Ministre, votre souhait de charger le Service général de l'inspection (SGI) de procéder à une évaluation de la situation durant l'année scolaire 2021-2022, spécifiquement ciblée sur la contestation des savoirs dispensés à l'école.

Vous aviez ainsi rejoint la volonté de mon groupe d'objectiver l'autocensure des enseignants et les sujets qu'elle concerne. Vous partagiez également notre demande de mieux identifier les matériels pédagogiques et les formations nécessaires pour encadrer les enseignants afin de leur permettre d'exercer leurs missions avec leur pleine liberté pédagogique et liberté d'expression, dans un dialogue serein et constructif avec leurs élèves.

Pour rappel, l'enquête du SGI concerne 2 300 enseignants, à savoir ceux qui dispensent les cours d'éducation à la philosophie et la citoyenneté (EPC), de religion, de morale, de sciences et d'histoire en sixième année primaire et en troisième et sixième années secondaires. Cette enquête comportait deux phases: une phase quantitative sur la base d'un sondage en ligne et une phase qualitative par le biais de rencontres en présentiel entre les inspecteurs et un échantillon d'enseignants.

Alors que cette évaluation devait se clôturer fin mars, vous annonciez qu'elle avait quelque peu été retardée par la crise de la Covid-19.

Disposez-vous à présent des conclusions de cette enquête du SGI? Que ressort-il de cette évaluation? Un pourcentage d'enseignants similaire à celui dévoilé par le CAL a-t-il déclaré s'autocensurer sur certains sujets? Quels sont les sujets qui font l'objet de contestation de la part des élèves et à propos desquels enseignants déclarent s'autocensurer? Quelles conclusions ont-elles déjà été dégagées quant aux outils pédagogiques et formations nécessaires pour encadrer les enseignants dans le but de lutter contre ce phénomène d'autocensure?

Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation. - D'après le rapport du SGI, à ce jour et de manière générale, les savoirs enseignés en Fédération Wallonie-Bruxelles, qu'il s'agisse des cours de sciences, d'histoire, de religion et de morale non confessionnelle et d'EPC pour la sixième année primaire, la troisième année secondaire et la sixième année secondaire ne font pas l'objet d'une remise en cause majeure. Les résultats de l'enquête menée par le SGI ne contredisent donc pas le constat déjà posé par le CAL dans sa publication de mai 2021: «À la lecture des différentes réponses, hormis quelques cas bien particuliers, on ne constate pas de situation hors de contrôle. Le contenu de notre enseignement ne connaît pas à ce jour de remise en cause majeure et systémique».

Ceci dit, toutes disciplines et tous niveaux confondus, 152 enseignants sur les 2 289 ayant répondu à l'enquête en ligne, c'est-à-dire 6,6 %, ont déclaré éviter les parties qui leur semblent problématiques quand ils doivent aborder un sujet contesté.

Sur la question spécifique de l'autocensure, les résultats de l'enquête diffèrent de ceux publiés par le CAL, qui indiquent que 40 % des enseignants ont parfois - pour 28 % - ou souvent - pour 12 % - évité ou limité le champ de réflexion d'un sujet pour éviter toute complication par la suite.

Plusieurs hypothèses peuvent expliquer l'écart entre les résultats obtenus par le SGI et le CAL. D'abord, les deux enquêtes ont eu lieu à des moments différents: celle du CAL a été menée de novembre 2020 à janvier 2021, soit juste après l'assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020. Sans doute, les émotions suscitées par cet événement ont influencé les réponses des enseignants. Ensuite, la portée et l'ampleur des enquêtes diffèrent, car 300 répondants du réseau Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) ont participé à l'enquête du CAL, contre 2 300 répondants tous réseaux confondus pour celle du SGI, auxquels il convient d'ajouter 134 entretiens individuels.

En revanche, il est interpellant de constater dans l'enquête du SGI que les sujets qui seraient contestés sont semblables à ceux relevés par l'enquête du CAL. Il s'agit de thématiques liées à l'évolution des espèces et l'origine de la vie de l'univers, aux différents registres de discours et types de vérité, au rapport à l'autre dans ses différences culturelles, ethniques et religieuses, à l'orientation sexuelle et l'identité de genre, à l'égalité entre les humains ainsi qu'au totalitarisme et à la démocratie.

À la suite des constats posés lors de cette mission, le SGI formulera au gouvernement une série de recommandations: instaurer des formations et favoriser la participation des enseignants à des formations professionnelles continuées disciplinaires et interdisciplinaires abordant la contestation des savoirs; centraliser, sur le site www.e-classe.be et pour chaque discipline, des ressources actualisées existantes dans les mondes associatif et culturel; produire à l'attention des enseignants des ressources spécifiques aux savoirs faisant l'objet d'une autocensure et d'une contestation.

Dès lors, j'ai demandé au SGI, avec l'appui du Service général du numérique éducatif, d'entamer le processus d'élaboration de ces ressources en se calquant sur celui actuellement mis en œuvre dans le cadre de l'implémentation des référentiels du tronc commun.

Il convient donc de ne pas céder à l'affolement, mais de porter une attention soutenue sur cette question. Le travail est en cours au niveau de l'administration et nous donnerons des réponses et des suites très concrètes à ce problème.

Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Comme vous, je suis assez étonnée de l'écart entre les résultats des deux enquêtes: d'après le SGI, 6,6 % d'enseignants déclarent s'autocensurer et, d'après le CAL, la proportion atteint 40 %. Le CAL a d'ailleurs signalé que 60 % des enseignants ressentent davantage une remise en question et un rejet de certains sujets entrant en confrontation avec les croyances des élèves. En France, une enquête avait été menée après le meurtre de Samuel Paty: 50 % des enseignants déclaraient s'autocensurer.

Est-ce dû à la crise sanitaire, car les cours étaient donnés moins souvent en présentiel?

Tout compte fait, la proportion de 6,6 % est déjà assez élevée. Il est intolérable que certains sujets fassent l'objet de contestations. Nous devons avoir une tolérance zéro à ce sujet: les enseignants doivent pouvoir s'exprimer librement et aborder tous les sujets avec leurs élèves. Il faudra suivre les recommandations du SGI. Pour ma part, je ne manquerai pas de suivre ce dossier avec attention.