Le point sur le redoublement

Question orale de Mme Stéphanie Cortisse, Députée, à Mme Valérie Glatigny, Ministre de l'Éducation, à propos du point sur le redoublement
Mme Stéphanie Cortisse (MR). – L'avis n° 3 du Pacte pour un enseignement d'excellence a pour ambition de réduire le taux de redoublement de 50 % d'ici 2030.
Les acteurs du Pacte ont posé le constat suivant en 2017: «Dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le taux d'élèves de quinze ans ayant déjà redoublé au moins une fois est de 13 % en 2012, alors qu'il est de 48 % en Fédération Wallonie-Bruxelles et de 27 % en Communauté flamande. Nous soutenons que le taux de redoublement que nous connaissons en Belgique francophone n'est pas acceptable et que rien ne justifie qu'il soit plus élevé que dans tous les autres pays européens.»
Le Groupe central estime que «Dans ce contexte, même s'il n'est pas question d'interdire le redoublement tout au long du tronc commun, il doit devenir exceptionnel en raison de son inefficacité.» Il est encore indiqué dans l'avis n° 3 du Pacte que «[…] les évaluations formatives sont prépondérantes […] et le nombre d'évaluations sommatives doit dès lors être réduit»; «Quant aux évaluations sommatives, elles sont nécessaires pour faire un bilan des compétences acquises après une période consacrée à un ensemble significatif d'apprentissages, mais ne peuvent pas, sauf exception dûment motivées, mener au redoublement à l'intérieur du Tronc commun.»
L'avis n° 3 poursuit en ces termes: «Un ensemble de conditions qui concernent diverses modalités structurelles du tronc commun lui-même doivent également être respectées pour atteindre ses finalités. Il est en particulier nécessaire (…) de mettre en place l'ensemble des mécanismes de soutien, d'accompagnement et de remédiation tout au long du parcours qui sont propres à l'école inclusive, (…) de façon à soutenir la suppression des mécanismes de redoublement (années complémentaires) et des années différenciées et leur remplacement par des mécanismes qui en combinant bienveillance et exigence permettent, sauf exception dûment motivée, la continuité des apprentissages jusqu'à la fin du tronc commun.»
Le Pacte précise lui-même que «la réussite ne se décrète pas, pas plus que l'interdiction généralisée du redoublement si on ne veut pas qu'elle s'accompagne d'un nivellement par le bas.» Toutefois, c'est le sentiment qu'ont beaucoup d'acteurs de terrain.
Dans le rapport que j'ai rédigé suite à ma tournée des écoles de l'arrondissement de Verviers, il ressort que: «Nombreux sont les répondants qui parlent spontanément du redoublement ou du maintien. La plupart estiment que le redoublement ne doit pas disparaître, qu'il doit rester possible. Il ne faut pas en abuser, mais parfois cela reste pertinent, par exemple en cas de grosses lacunes dans une ou plusieurs matières ou en cas de manque de maturité. Une année complémentaire sert à donner plus de temps pour refaire ou revoir les matières non assimilées, permet d'éviter un décrochage scolaire, un mal-être, d'éviter de poursuivre son parcours scolaire avec de grosses lacunes qui ne vont faire que s'amplifier, de reprendre confiance en soi, d'être plus épanoui, de prendre un nouveau départ. Certains répondants expliquent que parfois, les élèves et leurs parents viennent plus tard remercier leurs enseignants de les avoir maintenus. Plusieurs regrettent que cela soit finalement l'administration ou les parents qui aient le dernier mot en cas de recours contre une décision de redoublement, alors que ce sont les équipes éducatives qui sont les professionnelles. On ne fait pas confiance à l'enseignant alors que s'il se dirige vers un redoublement c'est pour le bien de l'élève et pas pour le casser. De plus, établir un dossier pour un redoublement est complexe et chronophage. Certains regrettent que le redoublement devienne exceptionnel avec le Pacte pour un enseignement d'excellence. Ils estiment que cela va augmenter le décrochage scolaire et qu'on va se retrouver en fin de tronc commun avec des élèves qui n'auront jamais été arrêtés dans leur parcours malgré de grosses lacunes qui se seront accumulées.» À noter toutefois qu'au contraire, quelques répondants «sont contre le redoublement. Ils trouvent cela absurde et estiment que les arguments avancés comme le manque de maturité ne sont pas pertinents. Ils estiment que l'interdiction du redoublement n'est pas un nivellement par le bas, mais que cela nécessite de revoir ses pratiques et de plus différencier.»
Madame la Ministre, quelle est l'évolution du taux de redoublement en Fédération Wallonie-Bruxelles depuis les constats posés dans l'avis n° 3 du Pacte pour un enseignement d'excellence? Quelle est encore la marge de manœuvre des équipes éducatives concernant le redoublement d'un élève? Le changement de paradigme par rapport au redoublement fait-il l'objet d'une évaluation? Si oui, qu'en ressort-il? Sinon, cela sera-t-il évalué?
Mme Valérie Glatigny, Ministre de l'Éducation. – Parmi les objectifs structurants du Pacte pour un enseignement d'excellence figure la volonté, sur la base des données de référence de l'année scolaire 2016-2017, de réduire de moitié les taux de redoublement à l'horizon 2030, soit parvenir à 3,6 % d'élèves redoublant; 1,4 % dans l'enseignement primaire et 6,1 % dans l'enseignement secondaire. Cette cible s'inscrit dans un changement de paradigme: le redoublement sera dorénavant permis durant toutes les années du cursus du tronc commun, mais la logique d'un accompagnement plus personnalisé et d'une différenciation des apprentissages plus marquée, par le biais du dossier d'accompagnement de l'élève (DAccE) notamment, doit le rendre exceptionnel.
Madame la Députée, l'analyse des données disponibles sur la période allant de 2010-2011 à 2023-2024 met en évidence une tendance générale à la baisse des taux de redoublement, bien que cette évolution ne suive pas une courbe linéaire. Trois inflexions majeures peuvent être distinguées: tout d'abord, une baisse marquée en 2020-2021, largement imputable au contexte exceptionnel de la crise sanitaire, les consignes administratives et les adaptations pédagogiques ayant conduit à un recul artificiel, mais significatif des décisions de redoublement. Ensuite, une hausse ponctuelle en 2021-2022 qui semble traduire un réajustement après-Covid-19, avec le retour à des pratiques d'évaluation plus classiques. Enfin, une reprise de la diminution en 2022-2023 et 2023-2024 qui semble refléter une dynamique plus structurelle.
Ce constat appelle néanmoins à la prudence. Si la tendance est globalement encourageante, la réduction du redoublement doit aller de pair avec un soutien aux équipes pédagogiques à travers notamment les dispositifs de formation continue et avec un renforcement de la place des évaluations formatives comme le test CLE (Calculer, lire et écrire). Autrement dit, la diminution du redoublement résultera d'une mutation des logiques d'accompagnement et de soutien pédagogique des élèves en difficulté. À terme, l'enjeu n'est pas uniquement de réduire un chiffre, mais de garantir des parcours scolaires plus fluides, plus porteurs de sens et synonymes de maîtrise des apprentissages pour tous les élèves.
Madame la Députée, l'approche du redoublement se modifie en profondeur pour restaurer l'autonomie décisionnelle des équipes éducatives. Ainsi, le passage de la première à la deuxième année de l'enseignement secondaire ne sera plus automatique et le redoublement ne sera d'ailleurs plus interdit à aucun moment du parcours. Mais il sera conditionné au déploiement préalable d'un accompagnement ciblé sur les difficultés observées. Les écoles sont encouragées au dialogue avec les parents lorsque des difficultés persistantes d'apprentissage sont observées et un accompagnement personnalisé des élèves en grande difficulté doit obligatoirement être instauré aussi tôt que possible. Les actions de soutien et l'évolution de l'élève sont renseignées dans le DAccE qui constitue également un outil de communication vers les familles.
Enfin, l'évolution du taux de redoublement est contrôlée en permanence au vu des objectifs fixés dans le cadre du pilotage du système éducatif. Par ailleurs, une attention particulière y sera accordée dans le cadre du rapport bisannuel consacré à l'évaluation des effets du tronc commun réalisé en application de l'article 2.6.1-1. du Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire. Ce rapport s'appuiera notamment sur toutes les données inhérentes au DAccE et à sa complétion.
Mme Stéphanie Cortisse (MR). – Tout récemment, des enseignants rencontrés dans une école d'enseignement pour adultes qui passent le certificat d'aptitudes pédagogiques (CAP) m'ont interpellée, car ils s'étonnaient qu'on ne puisse plus redoubler chaque année. Vos réponses sont de nature à les rassurer. Vous l'avez précisé, le redoublement reste possible, même s'il est exceptionnel et qu'il faut d'abord passer par davantage d'accompagnement personnalisé.
Ce gouvernement a justement la volonté d'améliorer cet accompagnement au bénéfice des élèves qui en ont besoin, avec un renforcement des apprentissages de base, des remédiations et une détection des lacunes dès le plus jeune âge. La fin du redoublement ne se décrète pas: il faut que les élèves parviennent à l'éviter par leurs propres moyens.