Question orale sur la réforme du Décret Paysage

06/05/2021

Question orale de Mme Stéphanie Cortisse à Mme Valérie Glatigny, Ministre de l'Enseignement supérieur, à propos de la réforme du décret du 7 novembre 2013 définissant le paysage de l'enseignement supérieur et l'organisation académique des études (décret «Paysage»)

Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Le 26 mai dernier, Madame la Ministre, je vous interrogeais sur l'état d'avancement d'un des chantiers les plus importants de cette législature: la réforme du décret «Paysage». L'objectif de cette réforme est de remédier à un taux d'échecs trop important au sein de notre enseignement supérieur francophone. 

Vous m'aviez alors fait part de cinq pistes de solution, parmi lesquelles la révision des critères de réussite et du système actuel d'accumulation de crédits, surtout en début de parcours académique, en particulier le premier bloc, et entre le passage du bachelier vers le master. 

J'ai déjà eu l'occasion d'exposer les nombreuses raisons pour lesquelles il est à mon sens indispensable d'ajuster le parcours individualisé de l'étudiant et je sais que vous êtes d'accord avec moi sur ce point. 

Si un débat thématique a déjà eu lieu sur le sujet au sein de notre Parlement au mois de septembre dernier, j'aimerais vous réinterroger aujourd'hui après avoir constaté que l'ordre du jour du gouvernement du 29 avril dernier mentionnait l'adoption, en première lecture, d'un avant-projet de décret modifiant le décret «Paysage». 

Après avoir mené de nombreuses consultations formelles et informelles avec les acteurs de terrain depuis votre entrée en fonction, vous avez mandaté le conseil d'administration de l'ARES pour réaliser une évaluation formelle du décret. L'ARES vous a rendu un avis le 30 juin, tandis que la Fédération des étudiants francophones (FEF) vous a remis le sien le 2 juillet dernier. 

Dans son évaluation formelle, l'ARES adhère à votre point de vue lorsqu'elle évoque le besoin de baliser le parcours de l'étudiant, en lui indiquant le plus rapidement et clairement possible la voie à suivre pour avancer dans ses études. Elle propose de recréer la perception que le premier bloc doit être achevé avant de poursuivre les études et que la situation normale de réussite est la validation de 60 crédits du programme. Elle propose aussi de restreindre l'accès au deuxième cycle selon des modalités plus coercitives que celles existant actuellement. Elle suggère aussi de clarifier et simplifier le calcul de finançabilité, à la fois pour les étudiants et le personnel des établissements d'enseignement supérieur. 

Vous avez précisé que cette première étape de concertation informelle sera suivie d'une phase institutionnelle qui permettra à l'ARES, aux étudiants, aux fédérations de pouvoirs organisateurs et aux organisations syndicales de donner leur avis formel sur le projet de réforme que vous leur soumettez. 

Le 11 mars dernier, vous avez précisé que, s'il faut reconnaître que la crise a ralenti le train de réformes, vous souhaitez toutefois qu'une modification du décret «Paysage» aboutisse prochainement. En effet, vous désirez informer au mieux les établissements, les professeurs et les étudiants sur le nouveau dispositif instauré, en leur laissant le temps suffisant pour s'approprier le contenu qui sera entré en vigueur lors de la rentrée de 2022. 

Madame la Ministre, pourriez-vous déjà présenter l'avant-projet de décret adopté en première lecture par votre gouvernement le 29 avril dernier? Bien entendu je lis la presse, mais c'est la première fois que vous pouvez exposer l'avant-projet de décret au sein de notre Assemblée. Je vous écouterai donc attentivement. 

Mme Valérie Glatigny, Ministre de l'Enseignement supérieur. - Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'exposer lors du débat thématique qui a eu lieu le 23 septembre dernier, mon objectif, à travers la réforme du décret «Paysage», est de favoriser la réussite des étudiants en luttant contre certains effets pervers du décret, au premier rang desquels figure l'allongement de la durée des études qui précarise les étudiants et contribue à une baisse de la réussite. 

Pour rappel, un étudiant sur cinq qui a reporté des crédits ne terminera pas son bachelier à temps; les étudiants boursiers sont particulièrement touchés par le système, puisque leur réussite du bachelier en trois ans est passée de 19 % sous le décret du 31 mars 2004 définissant l'enseignement supérieur, favorisant son intégration dans l'espace européen de l'enseignement supérieur et refinançant les universités (décret «Bologne»), à 14 % sous celui du décret «Paysage». 

La réussite de la première année du premier cycle baisse également de manière générale, puisqu'elle passe de 34 % à 26 %. 

Ce sont ces constats, couplés à un avis de l'ARES, qui m'ont conduit, conformément à la DPC, à ajuster le parcours de l'étudiant afin de renforcer sa réussite, réduire les contraintes administratives et éviter un allongement de la durée des études. 

L'avant-projet de décret adopté en première lecture jeudi dernier vise à mieux structurer le début du parcours de l'étudiant afin que celui-ci puisse déterminer rapidement s'il se trouve sur une trajectoire de réussite ou d'échec. 

Le texte vise également à renforcer en parallèle les moyens dédiés à l'aide à la réussite pour remédier à toute lacune éventuelle. 

Il ambitionne enfin de garantir une acquisition graduelle des savoirs et des compétences et de simplifier les règles de finançabilité qui sont à ce jour peu lisibles. 

En ce qui concerne l'aide à la réussite, les établissements devront dorénavant, avant le début de chaque année académique, établir un plan stratégique d'aide à la réussite, listant les activités de remédiation qu'ils mettront en place et les moyens financiers qui y seront alloués. Ils seront invités à proposer aux étudiants de nouvelles mesures d'aide à la réussite, telles que des examens blancs, des blocus et révisions dirigés, des séances de questions-réponses préalables à l'évaluation, des tutorats, etc. 

Une attention particulière devra être portée aux étudiants qui éprouvent des difficultés à réussir les 60 premiers crédits de leur bachelier. Les étudiants ayant réussi moins de 30 crédits au terme d'une première inscription devront obligatoirement compléter leur programme par des activités de remédiation. 

La Fédération Wallonie-Bruxelles alloue déjà annuellement 83 millions d'euros aux établissements afin d'organiser des mécanismes d'aide à la réussite et ces moyens seront encore renforcés. J'ai d'ailleurs proposé au gouvernement de dédier une partie du refinancement de l'enseignement supérieur à l'aide à la réussite. 

En guise de deuxième axe, la structuration du parcours de l'étudiant est essentielle pour que ce dernier puisse identifier rapidement s'il se situe sur une trajectoire de réussite ou d'échec. Pour ce faire, il convient de rétablir une acquisition graduelle des savoirs. Cette réforme prévoit à cet égard que les étudiants devront réussir l'ensemble des 60 premiers crédits dans le cursus avant d'être inscrits en poursuite d'études. Cela ne les empêchera pas d'anticiper un certain nombre de crédits. Nous conservons la philosophie globale du décret «Paysage» qui permet une progression par accumulation de crédits, mais cette progression sera balisée. Le texte prévoit différents cas de figure et nous aurons l'occasion d'y revenir lorsque le projet de décret sera déposé au Parlement. 

Une fois les 60 premiers crédits du premier bloc réussis, l'étudiant sera inscrit en poursuite d'études, à savoir pour les 120 crédits restants du bachelier. Son programme annuel sera constitué en priorité des crédits déjà inscrits à son programme, mais qu'il n'a pas encore réussis, ainsi que de crédits supplémentaires, pour un total de 60 crédits. Dans des cas déterminés, comme une année diplômante, le jury pourra valider un programme inférieur ou supérieur à 60 crédits. 

Afin d'éviter aux étudiants un sac à dos de crédits non validés trop lourds à porter, sans empêcher leur progression dans leur parcours académique, le passage de bachelier en master sera également balisé. Les étudiants qui doivent encore acquérir maximum 15 crédits de bachelier pourront anticiper des crédits de master pour lesquels ils disposent de prérequis. Ils seront cependant toujours bien inscrits en bachelier et leur programme ne pourra pas excéder un total de 60 crédits. La priorité pour ces étudiants restera d'acquérir tous les crédits du bachelier afin d'obtenir ce diplôme le plus rapidement possible. Le but est d'éviter les parcours d'étudiants qui ne débouchent sur aucun titre. Il est important d'encourager les étudiants à aller décrocher un bachelier, car ce titre est valorisable sur le marché du travail ou pour tout autre projet professionnel. 

Je souhaite également rendre plus lisibles les conditions de finançabilité, c'est-à-dire le droit à la réinscription, en fixant des objectifs clairs à atteindre. Trop d'étudiants passent plusieurs années dans le supérieur, au prix d'efforts financiers considérables à consentir par leurs parents ou eux-mêmes, sans obtenir de diplôme. 

L'avant-projet de décret prévoit ainsi que les étudiants disposeront de cinq années pour obtenir leur diplôme de bachelier, dans le respect de plusieurs balises: deux années pour réussir les 60 premiers crédits du premier bloc; quatre années pour atteindre les 120 premiers crédits. Les étudiants qui se réorienteront bénéficieront d'une année supplémentaire «joker» de remise à zéro sur le plan de leur finançabilité, ce qui portera leur total d'années pour réussir un bachelier à maximum six ans. 

Par la suite, l'étudiant disposera de deux ans pour réussir 60 crédits de master, de quatre ans pour réussir 120 crédits de master et de six ans pour réussir 180 crédits de master. 

En réalisant un parcours classique - soit 180 crédits de bachelier et 120 crédits de master -, un étudiant disposera donc de neuf ou dix ans pour mener à bien son parcours. 

Ces différentes mesures, en ce qu'elles clarifient et restructurent le parcours étudiant, auront également pour effet d'alléger la charge administrative pesant sur les établissements. En effet, ceux-ci doivent composer annuellement avec des programmes annuels de l'étudiant (PAE) tellement différenciés d'un étudiant à l'autre que l'organisation des études et des sessions d'examens était devenue un casse-tête. D'autres mesures sont également prévues afin d'apporter des clarifications techniques ou de régler certaines difficultés de mise en application. Nous aurons l'occasion d'y revenir à l'occasion du dépôt du texte au Parlement. 

Cet avant-projet fera maintenant l'objet d'une large consultation des différents acteurs de l'enseignement supérieur, l'ARES, la FEF, les organisations syndicales, les fédérations de pouvoirs organisateurs, les commissaires et délégués du gouvernement, etc. Nous venons par ailleurs d'en discuter avec les étudiants. Notre objectif est que le projet s'applique aux étudiants débutant leur parcours dans l'enseignement supérieur dès le mois de septembre 2022. Nous souhaiterions donc le déposer au Parlement à la rentrée parlementaire, ce qui nous permettra d'en débattre sereinement. 

Une fois le décret adopté, nous pourrons en assurer la communication la plus large possible auprès de tous les opérateurs concernés. C'est un élément essentiel. En effet, comme vous le rappeliez, Madame Cortisse, je souhaite assurer au mieux l'information auprès des établissements, professeurs et étudiants afin de leur laisser le temps nécessaire pour s'approprier le temps de la réforme avant son application à la rentrée 2022.

Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Je vous remercie, Madame la Ministre, pour toutes ces précisions. 

La FEF a commenté ce projet de décret »Paysage» le 1er mai sur son site internet et dans la presse. Elle clame que ces nouvelles mesures seraient «injustes», car elles impacteraient «directement les étudiants les plus précarisés.» Soit il s'agit d'une mauvaise compréhension et je ne lui en tiens pas rigueur, car elle vient seulement de prendre connaissance de votre avant-projet de décret et, entre-temps, vous avez eu une discussion avec ses représentants. Soit c'est une fake news puisqu'au contraire, comme vous l'avez déjà rappelé, c'est le décret «Paysage» dans sa version actuelle, celle de 2014, qui touche négativement les étudiants les plus fragilisés. 

Vous l'avez dit aussi: concernant les étudiants boursiers, seuls 14 % de la cohorte 2015-2016 étaient diplômés dans leur bachelier. En revanche, ils sont 19 % régis par le décret «Bologne» en 2010-2011. 

Comme vous l'avez annoncé, l'objectif de votre projet de décret est de corriger certains effets pervers de ce décret «Paysage» en luttant contre l'allongement structurel des études et, de la sorte, contre l'impact significatif de cet allongement pour les étudiants les plus précarisés. 

Je tiens donc à saluer les nouvelles mesures que vous annoncez. Elles permettront aux étudiants de savoir plus rapidement s'ils sont sur une trajectoire de réussite ou d'échec et, le cas échéant, de se réorienter. Elles visent aussi à renforcer l'aide à la réussite destinée aux étudiants qui en ont le plus besoin. Elles simplifient aussi les règles de finançabilité. 

Je ne manquerai pas de suivre avec attention la suite de ce projet et je vous remercie pour votre travail.