Question sur la formation continue des enseignants au numérique (suite)

19/01/2021

Question orale de Mme Stéphanie Cortisse à Mme Caroline Désir, ministre de l'Éducation, sur la formation continuée des enseignants au numérique.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Madame la Ministre, je vous ai interrogée en séance plénière du 7 octobre dernier sur la capacité des enseignants à s'approprier les outils informatiques et sur leur formation continuée au numérique. Pour rappel, les résultats de l'enquête du Programme international pour le suivi des acquis (PISA) de 2018 avaient montré que seuls 33 % des directeurs d'établissements scolaires en Fédération Wallonie-Bruxelles estimaient que leurs enseignants avaient les compétences techniques et pédagogiques pour relever le défi numérique, contre 70 % en Flandre et une moyenne de 65 % pour les autres pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

L'utilisation du numérique à l'école ayant pris une tout autre dimension depuis la crise sanitaire, je vous suggérais de rendre les formations au numérique obligatoires lors de la formation continuée des enseignants. Vous m'aviez répondu que la situation en la matière avait bien évolué depuis 2018 et que l'offre de formations dans le domaine du numérique avait été renforcée et diversifiée. Vous me précisiez que la participation à ces formations se faisait toujours sur une base volontaire et que, jusqu'à présent, votre gouvernement avait choisi de ne pas imposer aux enseignants des formations supplémentaires dédiées au numérique. Toutefois, vous me précisiez que cela pourrait changer.

Je me permets déjà de vous interpeller à ce sujet à la suite de l'enquête sur l'utilisation du numérique dans l'enseignement obligatoire réalisée par l'École de formation des enseignants de l'UMons, entre septembre et novembre 2020, et parue dans la presse ce 5 janvier. Il en ressort que de nombreux enseignants ont délaissé l'usage du numérique dès la rentrée de septembre 2020. Alors que durant le premier confinement les outils numériques étaient devenus la pierre angulaire de l'enseignement, 57 % des enseignants du fondamental et du secondaire déclarent ne pas avoir conservé les pratiques numériques mises en œuvre à l'époque. Nous pouvons évidemment comprendre un recul, étant donné qu'à la rentrée, la grande majorité des cours pouvaient être donnés en présentiel. Néanmoins, les raisons invoquées m'ont interpellée: inutilité, aspect chronophage, manque d'aisance dans l'utilisation, expérience non concluante, ... Seuls 39 % des enseignants disent avoir participé à une formation afin de se familiariser avec l'utilisation d'outils numériques ou pour approfondir l'usage de certaines technologies à des fins d'enseignement. Environ 62 % se sont retrouvés seuls face à l'apprentissage du numérique.

Mme Natacha Duroisin, la professeure qui a coordonné cette recherche, n'hésite pas à parler d'une fracture du numérique au sein des enseignants et résume très bien la situation comme suit: «Bien que l'enseignement en présentiel demeure indispensable, on sait qu'une utilisation correcte du numérique permet la consolidation des apprentissages, voire leur dépassement. [...] Mais pour que les enseignants s'y mettent, il faut inévitablement passer par la formation et la mise en évidence de la plus-value de ces outils. [...] Malgré tout, il faut se saisir de l'opportunité de cette crise pour donner une place plus importante au numérique».

Le coup de fouet donné à l'enseignement numérique à la suite de la crise sanitaire étant bien plus éphémère que ce que nous pensions, ne réévalueriez-vous pas, avec le gouvernement, ma proposition de rendre obligatoires les formations au numérique destinées aux professeurs lors de leur formation continuée?

Mme Caroline Désir, ministre de l'Éducation.- Madame la Députée, Messieurs les Députés, depuis le début de la crise de la Covid-19, l'enseignement a dû se réinventer. Partant, les pratiques éducatives ont dû être adaptées à un enseignement à distance. S'il est un fait que les outils numériques ont été le meilleur moyen pour garder un contact avec les élèves en période de confinement, il apparaît en revanche qu'il a été particulièrement malaisé pour les équipes éducatives de s'adapter à l'environnement numérique tant le manque de formation était important.

La fracture numérique parmi les enseignants est réelle et il m'est apparu d'autant plus nécessaire d'augmenter l'offre de formations au numérique en ces circonstances, ainsi que le nombre de conseillers technopédagogiques afin de soutenir les équipes éducatives. Mes services ont également fortement développé les ressources pédagogiques à destination des enseignants sur la plateforme E-classe. Par ailleurs, un projet d'équipement des élèves a également été mis en œuvre par les ministres Jeholet et Daerden.

Il existe effectivement une plateforme mise à disposition par la Fédération Wallonie-Bruxelles, depuis le 21 août, Happi. Pour rappel, tout établissement, indépendamment du réseau auquel il appartient, faisant le choix de l'environnement Happi bénéficie de l'installation, de l'hébergement, du paramétrage et de la maintenance de la plateforme, ainsi que de la gestion de l'accès des enseignants et des élèves en fonction des données connues de l'administration. Pour vous donner quelques chiffres, Happi compte actuellement 237.365 utilisateurs. Ce ne sont pas moins de 824 établissements, tous réseaux confondus, qui ont fait le choix de cette plateforme. Notre stratégie numérique pour l'éducation, qui a fortement évolué vu l'urgence, sera bientôt amendée car elle doit continuer à s'inscrire dans une perspective structurelle.

L'augmentation du taux d'absentéisme des élèves et l'amplification des inégalités scolaires sont des constats particulièrement alarmants. Je rejoins tout à fait les enseignants qui déclarent que la motivation de leurs élèves est l'élément primordial sur lequel nous devons travailler. Le décrochage scolaire est un phénomène que nous ne pouvons pas nier. C'est pourquoi j'ai décidé de mener une réflexion concertée avec le monde scolaire à ce sujet, afin d'envisager plusieurs pistes de solution pour remédier à cette situation.

J'ai déjà développé ce point de vue en réponse à de nombreuses autres questions posées aujourd'hui. Je voudrais juste ajouter que, d'après tous les témoignages que je recueille à chaque visite de terrain que j'effectue, la fracture numérique existe bien chez les enseignants, et le manque de formation est criant, mais aussi chez les élèves.

Nous remarquons partout, dans toutes les écoles, que les élèves ne sont pas toujours si bien formés que cela au numérique. Nous avons l'impression qu'ils sont nés avec des outils informatiques dans les mains. C'est en partie vrai puisqu'ils utilisent leur smartphone au quotidien, mais cela ne signifie pas pour autant qu'ils savent utiliser une plateforme numérique ou des outils de traitement de texte. Ils n'utilisaient souvent pas de courriels avant le premier confinement. Tout un écolage a dû se faire au fur et à mesure des mois, un peu sur le tas. Il ne faut pas le sous-estimer.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Je ne remets pas en cause l'importance des cours en présentiel pour nos élèves et nos enseignants. La dispense des cours par un enseignant face à sa classe reste une priorité. Madame la Ministre, vous ne manquez pas de le rappeler, et ce dans le respect des mesures sanitaires. Lorsque nous évoquons l'enseignement numérique, certaines personnes sont heurtées, mais notre intention n'est pas de supprimer les cours en présentiel.

Le défi numérique existait déjà avant la crise et nous étions à la traîne par rapport à d'autres pays de référence. La crise a eu au moins un effet bénéfique. Elle a accéléré l'avis n° 3 du Groupe central dans le Pacte pour un enseignement d'excellence sur la transition numérique. À côté, nous avons la Stratégie numérique pour l'éducation en Fédération Wallonie-Bruxelles, adoptée en 2018, les appels à projets «Digital Wallonia Ecole Numérique 2020» et surtout la task force qui a été créé. Cela a été débattu lors de la réunion de la commission des Affaires générales, des Relations internationales, du Règlement et du Contrôle des communications du 18 janvier dernier. Des budgets conséquents ont été débloqués par le ministre-président Jeholet et le ministre Daerden pour équiper nos écoles et nos élèves.

Tous ces efforts seront vains si, in fine, une fois sorti de la crise, nos enseignants se détournent des outils numériques à la suite d'un manque de formation, n'en perçoivent pas l'intérêt et les vertus pédagogiques. 

Sans réponse de votre part sur ce sujet, je réitère mon envie que le gouvernement impose à tous les enseignants de suivre des formations numériques lors de leur formation continue. De toute manière, nous allons la rendre obligatoire dans la formation initiale. Pourquoi ne pas le faire pour les enseignants déjà en place?

Je ne manquerai pas de vous questionner à ce sujet et j'espère que vous aurez pu en débattre avec le gouvernement.