Question sur la généralisation du néerlandais ou de l'allemand comme première langue moderne
Question orale de Mme Stéphanie Cortisse, Députée, à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, à propos de la généralisation de l'enseignement du néerlandais ou de l'allemand comme première langue moderne en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Madame la Ministre, le 30 septembre dernier, votre note d'orientation concernant la généralisation de l'enseignement du néerlandais ou de l'allemand comme première langue moderne en Fédération Wallonie-Bruxelles a fuité dans la presse. Depuis lors, le Gouvernement l'a approuvée en lecture unique lors de sa séance du jeudi 13 octobre dernier, raison pour laquelle je me permets aujourd'hui de vous interroger.
Une généralisation du néerlandais ou de l'allemand comme première langue moderne en Fédération Wallonie-Bruxelles est donc prévue. Elle entrera en vigueur à la rentrée 2027-2028 en troisième année primaire, puis année après année pendant six ans.
Il nous faut partir des constats suivants. Les néerlandophones doivent apprendre le français à partir de la cinquième année primaire. Les écoles ont le choix de l'enseigner en option dès la troisième année primaire en Flandre et dès la première année primaire à Bruxelles, si les élèves connaissent déjà suffisamment le néerlandais.
Les élèves francophones issus des 19 communes de Bruxelles et de certaines communes à statut linguistique spécial proche de la frontière linguistique avec la Flandre, comme Comines-Warneton, Mouscron, Flobecq et Enghien, suivent déjà des cours de néerlandais en troisième année primaire.
Les élèves germanophones, quant à eux, doivent apprendre le français dès la première année primaire.
Les élèves de certaines communes à statut linguistique spécial proche de la frontière linguistique avec la Flandre ou la Communauté germanophone doivent déjà opter pour le néerlandais ou l'allemand comme première langue moderne. À Waimes, Baelen Plombières, Welkenraedt, ils doivent choisir entre le néerlandais ou l'allemand et à Malmedy, ils ont cours d'allemand.
Finalement, seuls les élèves wallons ont le choix d'apprendre en premier lieu une autre langue qu'une de nos langues nationales. Or à l'heure actuelle, moins d'un élève sur trois en Wallonie choisit le néerlandais comme première langue moderne. Ce taux n'arrête pas de diminuer au fil des années puisqu'il y a quinze ans, il était de 50 %. Sur la cohorte de sixième année secondaire en 2020-2021, 28 % des élèves n'avaient jamais suivi de cours de néerlandais durant leur scolarité.
Mon groupe estime que les bénéfices de la généralisation de l'apprentissage d'une langue nationale sont nombreux : renforcer l'unité de la Belgique, faire tomber les barrières linguistiques, renforcer le sentiment d'appartenance nationale des citoyens et œuvrer au rapprochement culturel entre les trois Communautés. De plus, cela favorise l'employabilité des jeunes étant donné que de nombreuses offres d'emploi requièrent la maîtrise du néerlandais et/ou de l'allemand. Tout cela pèse fortement dans la balance en faveur de la généralisation de l'apprentissage du néerlandais ou de l'allemand comme première langue moderne face à la liberté de choix actuelle, à laquelle je suis toutefois sensible personnellement.
Cependant, de nombreux problèmes se posent et il ne suffit pas de valider le principe d'une généralisation pour une entrée en vigueur dans cinq ans sans les résoudre au préalable.
Je pense tout d'abord à la pénurie des maîtres et professeurs de langues modernes. Cette dernière risque de s'accroître, car il faudra trouver 400 équivalents temps plein (ETP) en plus pour la prochaine rentrée de 2023, lors de laquelle la première langue moderne sera enseignée en Wallonie dès la troisième année primaire au lieu de la cinquième année primaire. Le projet de décret qui a été soumis au gouvernement comporte deux nouvelles mesures: la valorisation pécuniaire d'une ancienneté de cinq ans pour les enseignants de seconde carrière en langue moderne et la reconnaissance de certificats émanant d'organismes nationaux et internationaux comme composants disciplinaires pour les enseignants de langues modernes. Ce sont les premières mesures prévues pour la prochaine rentrée scolaire. Envisagez-vous d'autres mesures pour recruter des professeurs de néerlandais et d'allemand d'ici 2027?
D'autres problématiques, et non des moindres, concernent l'incidence sur les écoles pratiquant l'immersion en anglais, ainsi que sur les nombreuses écoles fondamentales qui organisent actuellement uniquement l'anglais comme première langue moderne, ou encore la pérennité de l'emploi des maîtres de langue anglaise. Quelles pistes de solution envisagez-vous pour répondre à chacune de ces problématiques, et en particulier pour rassurer les écoles pratiquant l'immersion en anglais et les enseignants d'anglais ?
Par ailleurs, confirmez-vous que l'enseignement de la langue allemande restera possible dans certaines zones proches de l'Allemagne, du Grand-Duché de Luxembourg et de la Communauté germanophone ? Si oui, comment comptez-vous déterminer les zones, les écoles et les communes concernées ? Y sera-t-il possible de choisir entre l'allemand et le néerlandais ?
En outre, le nouveau tronc commun veille à la continuité des apprentissages entre la sixième année primaire et la première année secondaire, alors qu'à l'heure actuelle, les élèves peuvent facilement obtenir une dérogation pour changer de première langue moderne lorsqu'ils entrent dans l'enseignement secondaire. Envisagez-vous de supprimer cette dérogation ?
Actuellement, le certificat d'études de base (CEB) en fin de sixième année primaire comprend des évaluations en français, en mathématiques et en éveil uniquement. Est-il prévu d'intégrer une épreuve de langue moderne dans le CEB ?
Étant donné que les élèves choisissent de plus en plus l'anglais et que nombre d'entre eux ont des a priori négatifs par rapport au néerlandais, comment convaincre les familles, et plus largement les citoyens francophones, du bien-fondé d'une telle réforme ? Une communication spécifique est-elle déjà prévue à cet égard ?
Pour conclure, deux études me paraissent essentielles pour convaincre le grand public. La première mesurerait le niveau de néerlandais des élèves bruxellois à la fin de la sixième année secondaire, sachant que ces derniers apprennent cette langue depuis la troisième année primaire. La seconde étude aurait pour but de savoir si l'apprentissage du néerlandais ou de l'allemand dès la troisième année primaire facilite ensuite l'apprentissage d'une seconde langue moderne, comme l'anglais, dès la deuxième année secondaire. L'existence d'un tel phénomène revient souvent dans les débats, mais je n'ai pas trouvé d'étude à ce sujet. Madame la Ministre, de telles recherches ont-elles déjà été menées ? Si oui, quelles en sont les conclusions ? Sinon, pourriez-vous lancer une telle étude ?
Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation. - Le Gouvernement a effectivement adopté le 13 octobre dernier, à la suite de ma proposition, une note d'orientation relative à la généralisation du néerlandais ou de l'allemand comme seconde langue en Fédération Wallonie-Bruxelles, et ce, à partir de la troisième année primaire.
L'objectif est à la fois de faciliter l'employabilité des élèves et d'œuvrer aux rapprochements culturels entre les Communautés.
La note d'orientation permet de dresser un état des lieux de la problématique et d'évaluer les différents enjeux qu'elle soulève. Elle repose sur deux rapports d'analyse réalisés par les services de l'administration. Ceux-ci constituent des éléments de travail techniques et internes non voués à être diffusés publiquement.
Cette note répond au mandat que le gouvernement m'avait confié il y a déjà plusieurs mois. J'avais initialement formulé des propositions en vue de réaliser une consultation publique conformément à la DPC. Néanmoins, vu que l'ensemble des familles politiques avaient une position qui semblait mûre sur la question, le Gouvernement m'a chargé de déposer une note de positionnement comprenant une analyse de faisabilité de la mesure.
Pour revenir à la note d'orientation adoptée par le Gouvernement, celle-ci stipule que si l'apprentissage de l'allemand doit légalement être maintenu dans les communes dotées d'un régime linguistique spécial, il pourra être étendu aux communes situées aux frontières avec l'Allemagne, le Grand-Duché de Luxembourg et la Communauté germanophone. Les modalités de la mesure et son périmètre géographique seront définis ultérieurement par le pouvoir régulateur. Nous devons effectivement encore déterminer si le choix entre le néerlandais et l'allemand restera possible ou si l'allemand sera imposé seul dans les zones concernées. Nous devons également préciser quelles sont les zones concernées.
Par ailleurs, le Gouvernement a décidé de garantir le principe de continuité de l'apprentissage de la première langue moderne entre les niveaux d'enseignement primaire et secondaire. Cela signifie que le néerlandais ou l'allemand deviendra obligatoire comme seconde langue lors du passage en secondaire. Il conviendra dès lors de mieux cadrer la possibilité de dérogation ministérielle prévue dans le Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire.
Les possibilités d'organiser un enseignement d'immersion en anglais devront également encore être réexaminées. S'il me paraît essentiel de préserver la philosophie du tronc commun, je suis également soucieuse du devenir des écoles qui reposent sur un projet pédagogique de ce type.
Outre la nécessité de recruter 373 maîtres de seconde langue dès la prochaine rentrée scolaire en raison de l'introduction du cours en troisième et quatrième années primaire en Wallonie, la difficulté pour les écoles de trouver des maîtres d'école est une réalité que l'imposition du néerlandais comme unique seconde langue ne fera qu'accentuer. Un profond travail pour recruter de nouveaux enseignants doit être mené, en renforçant l'attractivité de la profession, notamment par des mesures de lutte contre la pénurie et d'incitation à la reconversion professionnelle pour les enseignants de seconde carrière. Un avant-projet de décret instituant un dispositif expérimental créant un pool local de remplacement et contenant des mesures diverses en vue de lutter contre la pénurie d'enseignants est en cours d'adoption par le gouvernement. Il devrait permettre la valorisation pécuniaire de l'expérience pour les maîtres de seconde langue dans l'enseignement primaire et la reconnaissance des certificats émanant d'organismes nationaux ou internationaux en tant que composante du titre de capacité. Un groupe de travail spécifiquement consacré aux enseignants de seconde carrière a également formulé des pistes en vue d'encourager les parcours de reconversion professionnelle. Enfin, des instituteurs en fonction pourraient reprendre la charge du cours de seconde langue, notamment les instituteurs maternels dont le nombre va diminuer en raison du déclin démographique.
En tout état de cause, l'impact social qu'aura l'imposition du choix de la première langue moderne sur les maîtres d'anglais et d'allemand doit être au cœur de nos préoccupations. Selon les analyses menées par l'administration, le taux de reconversion de ces membres du personnel s'élève à 86 %. Il conviendra d'assurer une transition sociale évitant un impact négatif sur l'emploi, par exemple, en offrant suffisamment de temps aux enseignants qui perdraient des heures pour se former, voire se réorienter.
Les difficultés et les enjeux liés à la généralisation du néerlandais ou de l'allemand comme seconde langue sont nombreux. Une période transitoire apparaît dès lors indispensable. Elle permettra aux pouvoirs organisateurs et aux écoles de réorganiser progressivement leur offre scolaire et de procéder au recrutement nécessaire. Elle permettra également aux élèves ayant commencé l'apprentissage de l'anglais dans le régime actuel de terminer leur cursus sans devoir changer de seconde langue. Ainsi, l'obligation d'enseigner le néerlandais ou l'allemand prendra effet à partir de l'année scolaire 2027-2028. Cette année-là, elle commencera en troisième année primaire avant de s'étendre progressivement aux années supérieures, sur la base du même principe que le tronc commun.
Dans cette perspective, un plan de communication détaillée à l'adresse des écoles, des parents et des membres du personnel concernés est essentiel, et je vous confirme que c'est prévu, Madame Cortisse.
À plus court terme, le Gouvernement m'a chargée de soumettre la note d'orientation au Comité de concertation du Pacte pour un enseignement d'excellence. Les avis des acteurs institutionnels de l'enseignement contribueront à développer la réflexion sur les points d'attention évoqués et pourraient révéler d'autres enjeux, comme celui des évaluations externes ou certificatives. Il m'importe de recueillir tous les points de vue préalablement aux modifications réglementaires requises pour la mise en œuvre de la généralisation du néerlandais ou de l'allemand.
Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Je vous remercie pour vos réponses, Madame la Ministre. Je note que plusieurs questions sont à l'examen. Je ne manquerai pas d'y revenir. Au-delà du principe de la généralisation, que mon groupe soutient, il faut résoudre toutes ces questions. Il ne suffirait pas d'approuver aujourd'hui la mesure sans trouver de solutions.
Il ne faut pas non plus sous-estimer l'importance de l'apprentissage de l'anglais qui est une langue internationale, attrayante non seulement pour des questions culturelles et touristiques, mais aussi pour les possibilités d'emploi plus internationaux.
L'apprentissage de la première langue est avancé à la troisième année primaire. Plus tôt les jeunes apprennent une première langue, plus il leur sera facile d'en apprendre une seconde par la suite. L'éveil aux langues est d'ailleurs déjà présent à l'école maternelle. De plus, la deuxième langue moderne sera désormais enseignée à partir de la deuxième année secondaire, et non plus à partir de la troisième. L'anglais pourra donc être enseigné plus tôt dans l'enseignement secondaire.
Finalement, l'essentiel est de sortir de l'unilinguisme en Fédération Wallonie-Bruxelles, grâce à un bon apprentissage des langues. Bien que le sujet relève plutôt des méthodes pédagogiques, il serait utile d'encourager les méthodes d'apprentissage ayant davantage recours aux cours en immersion, aux locuteurs natifs, aux échanges d'enseignants entre les Communautés et aux séjours linguistiques dans les autres Communautés. Les langues ne s'enseignent pas comme les mathématiques. Les élèves doivent les pratiquer.
Mon groupe ne
manquera pas de continuer à suivre ce chantier important.