Question sur la lutte contre la pénurie des enseignants

13/09/2022

Question orale de Mme Stéphanie Cortisse, Députée, à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, intitulée «Lutte contre la pénurie d'enseignants»

Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Madame la Ministre, je reviens une nouvelle fois vers vous au sujet de la lutte contre la pénurie d'enseignants, thème d'une importance cruciale et à propos duquel nous avons déjà mené un débat en réunion de commission le 21 juin dernier.

Nous avions voté le décret du 17 juillet 2020 portant des mesures de lutte contre la pénurie d'enseignants dans le but de lever une série de blocages d'ordres statutaire et administratif. Madame la Ministre, une évaluation des effets de ce décret a-t-elle été menée, et qu'en ressort-il?

Par ailleurs, vous nous aviez aussi présenté les grandes lignes du projet de décret instituant un dispositif expérimental créant un pool local de remplacement pour l'année scolaire 2022-2023 et contenant des mesures diverses en vue de lutter contre la pénurie d'enseignants. Ce dernier a été adopté en première lecture par le gouvernement le 16 juin dernier et est passé en seconde lecture le 8 septembre. Au sein de ce dernier, il est notamment prévu de valoriser l'ancienneté des enseignants de seconde carrière en langues modernes ou encore de développer une ancienneté interréseaux. Vous n'aviez pas apporté de réponse à certaines de mes questions, permettez-moi de les poser à nouveau aujourd'hui. En ce qui concerne le pool local de remplacement, devra-t-il être fait appel aux membres du personnel en perte partielle de charge ou en disponibilité par défaut d'emploi? Le pool sera-t-il bien interréseaux? Les jeunes enseignants seront-ils invités à s'y inscrire? En ce qui concerne les enseignants de seconde carrière en langues modernes, leur sera-t-il possible de continuer à travailler en partie dans le secteur privé à côté de leur profession d'enseignant? Est-il prévu, dans cet avant-projet de décret, que les membres du personnel de l'enseignement, sur base volontaire, puissent travailler au-delà de 65 ans en préservant leurs droits?

En outre, si vous étiez en mesure de me fournir les pourcentages d'enseignants disposant d'un titre requis, d'un titre suffisant ou d'un titre de pénurie pour l'année scolaire précédente, je m'étonnais qu'il ne soit pas possible de disposer de chiffres relatifs à la pénurie en tant que telle, c'est-à-dire du nombre d'enseignants manquants et de ceux qui ne sont pas remplacés en cours d'année. En tant que pouvoir régulateur, il est nécessaire d'avoir une vue précise de cette problématique, car c'est à partir de constats clairs que nous pourrons la résoudre. Madame la Ministre, la mise sur pied d'un tel monitoring est-elle envisageable? Quels sont les freins à l'heure actuelle?

À cet égard, il est nécessaire d'objectiver la notion de pénurie. Toutes les fonctions sont-elles concernées? Comment évolue ce phénomène au cours d'une année scolaire? Une évolution est-elle attendue au vu de la décroissance démographique annoncée? Qu'en est-il eu égard à la pyramide des âges dans l'enseignement?

Par ailleurs, il est nécessaire d'objectiver le nombre d'enseignants en titre qui, dans les faits, ne sont pas en classe, ce qui contribue à accentuer le phénomène de pénurie. Je pense notamment aux maladies longue durée, aux détachements, aux chargés de mission ou encore aux disponibilités précédant la pension de retraite (DPPR). A-t-on une idée de la quantité de membres du personnel que cela représente et de leur profil? Ces profils sont-ils ou non liés aux pénuries constatées?

Enfin, une enquête a-t-elle déjà été menée afin d'objectiver clairement les raisons de la fuite des enseignants en début de parcours? Existe-t-il une évaluation de la différence entre le nombre d'enseignants diplômés et le nombre d'engagements de jeunes de moins de cinq ans d'ancienneté dans l'enseignement? L'accompagnement lors de l'entrée dans la fonction est régulièrement évoqué, mais qu'est-il mis en œuvre à ce sujet? Un système de mentorat ou de tutorat est-il envisageable la première année, pourquoi pas en recourant aux DPPR?

Mme Caroline Désir, ministre de l'Éducation. - Il n'est plus nécessaire de rappeler que la pénurie d'enseignantes et d'enseignants ne concerne pas seulement la Fédération Wallonie-Bruxelles. La crise du recrutement des professeurs est un phénomène qui touche presque tous les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont la Belgique, y compris la Flandre, mais aussi la France, l'Italie, l'Allemagne, l'Angleterre, le Canada ou les États-Unis.

Si les dispositions prises en Flandre ou en France sont différentes de celles prises par la Fédération Wallonie-Bruxelles, je tiens à préciser d'emblée qu'aucune des mesures de lutte contre la pénurie que je porte ne vise à augmenter la taille des classes, ce qui est effectivement l'un des points d'attention des syndicats. À ce sujet, nous avons tenu la semaine passée notre première réunion consacrée à la taille des classes et d'autres réunions sont prévues.

Je reste également attentive à ce que le plus grand nombre d'enseignantes et d'enseignants qui se retrouvent dans les classes soient bien en possession d'un titre pédagogique. À cet égard, l'évaluation des mesures du décret du 17 juillet 2020 portant des mesures en vue de lutter contre la pénurie est en cours. Je serai en mesure de vous en présenter les résultats à l'automne prochain.

Il ne me semble pas approprié d'assouplir l'accès à la profession d'enseignant, mais bien de favoriser la diversification des voies de certification pédagogique et l'adaptation des cursus, notamment pour permettre à des enseignants de seconde carrière disposant du bagage nécessaire d'accéder à la profession. J'y reviendrai.

Si les données chiffrées relatives à la pénurie des enseignants et à son évolution au cours de l'année scolaire sont accessibles au niveau de chaque PO, elles ne font pas l'objet d'un suivi centralisé au niveau des services de l'administration. Néanmoins, il est possible de dégager des tendances. En effet, les retours de terrain montrent que, dans l'enseignement fondamental, à la date de la rentrée, presque tous les postes d'instituteur et d'institutrice étaient pourvus. C'est le cas pour plusieurs des fonctions dans l'enseignement secondaire, même si nous observons des variations selon les régions ou selon les contextes locaux spécifiques. Certaines fonctions restent particulièrement difficiles à pourvoir: les maîtres de seconde langue; les professeurs de langues modernes, notamment à Bruxelles pour le néerlandais; les enseignants de certains cours techniques et professionnels.

L'arrêté de la Communauté française arrêtant la liste des fonctions en pénurie par zone pour l'année scolaire 2022-2023 a été définitivement adopté par le gouvernement le 25 août dernier. Ce texte reprend les fonctions en pénurie dans l'enseignement fondamental, secondaire, de plein exercice et de promotion sociale, secondaire artistique à horaire réduit, par zone, en distinguant les fonctions en pénurie sévère.

Par ailleurs, la situation de pénurie se renforce systématiquement en cours d'année scolaire, lors de la maladie de titulaires ou lors de la prise de congés, en cours d'année, de membres du personnel. Il est donc nécessaire d'agir pour que tous les élèves puissent bénéficier d'un enseignant dans leur classe. Certaines mesures ont déjà été prises en ce sens en 2019 et en 2020. D'autres sont prévues prochainement.

Ainsi, le projet de décret instituant un dispositif expérimental créant un pool local de remplacement pour l'année scolaire 2022-2023 et contenant des mesures diverses en vue de lutter contre la pénurie d'enseignants vient d'être adopté, le 8 septembre, en deuxième lecture par le gouvernement. Comme je vous l'avais annoncé au mois de juin dernier, outre le dispositif expérimental de pool de remplacement de professeurs absents sur les zones de Bruxelles et du Hainaut sud dans l'enseignement fondamental, les principales autres mesures portées par les textes sont les suivantes: la valorisation pécuniaire de l'expérience pour les maîtres de seconde langue dans l'enseignement fondamental, le développement des anciennetés interréseaux au bénéfice des membres du personnel de l'enseignement, l'accès au jury CAP (certificat d'aptitudes pédagogiques) facilité pour tous les enseignants et la reconnaissance de certificats émanant d'organismes nationaux et internationaux reconnus comme composante disciplinaire pour les enseignants en langue. S'agissant du pool de remplacement des professeurs absents, les règles statutaires seront d'application pour les membres du personnel recruté. Concernant les jeunes enseignants, en cas de premier recrutement, ils devront être porteurs du titre requis ou du titre suffisant avec composante pédagogique pour la fonction d'instituteur primaire. Enfin, Madame Cortisse, le mécanisme prévoit que la mutualisation des périodes pourra bien être organisée entre des PO de réseaux différents. En complément à d'autres dispositions initiées ou en cours d'adoption, l'un des objectifs de ce projet expérimental est de limiter le turnover des enseignants débutants en dessinant des possibilités de stabilisation plus rapides.

La mesure permettant la poursuite des activités enseignantes après l'âge légal de la pension existait déjà, mais uniquement pour les fonctions en pénurie et en pénurie sévère. Le texte adopté par le gouvernement jeudi dernier, actuellement soumis à l'avis du Conseil d'État, permettrait d'élargir cette disposition à tous les membres du personnel ayant atteint l'âge légal de la pension, même si la fonction exercée n'est pas listée en pénurie. Comme c'est le cas des fonctions en pénurie, cette disposition serait d'office limitée à une année, renouvelable une seule fois et elle ne pourrait être activée qu'à la demande du membre du personnel, moyennant l'accord du PO.

En ce qui concerne les propositions portées par le rapport du groupe de travail consacré à la thématique des enseignants de seconde carrière permettant de favoriser la mobilité professionnelle, celui-ci a été présenté au gouvernement concomitamment au projet de décret précité. Dans ce cadre, des contacts ont été établis avec les services des gouvernements régionaux chargés de l'emploi en vue d'établir des partenariats avec Actiris et le FOREM. Par ailleurs, un groupe de travail constitué de représentants de mon cabinet et de l'Administration générale de l'enseignement (AGE) a été instauré pour assurer le suivi des actions en lien avec ledit groupe de travail, parmi lesquelles l'amélioration de Primoweb, la désignation d'une personne-ressource à l'AGE chargée de coordonner les efforts pour assurer la transition sociale des membres du personnel dans le cadre des réformes en cours de préparation, la création d'une source d'information unique destinée aux candidats à un poste dans l'enseignement et le lancement d'une campagne de promotion des métiers de l'enseignement. La mise en œuvre de ces différentes actions constitue une de mes priorités pour l'année scolaire qui débute.

Le gouvernement m'a également chargée de lui présenter, au moment de la troisième lecture du texte décrétal en cours d'élaboration, les modalités d'opérationnalisation de réintégration d'une fonction dans l'enseignement pour les membres du personnel en DPPR qui le souhaitent, sous réserve de la poursuite des contacts établis avec les services du gouvernement fédéral chargés des pensions, ainsi que la liste des tâches pouvant être confiées aux membres du personnel nommés à titre définitif, mis en disponibilité partielle ou totale par défaut d'emploi dans le cadre de leur mise à disposition à leur PO d'origine.

Enfin, la mise en œuvre de la réforme de la FIE constituera sans nul doute une réponse structurelle à la pénurie, notamment en matière de décrochage précoce des enseignants, lesquels devraient être mieux outillés dans l'avenir pour faire face aux réalités du métier.

Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Une autre mesure que je n'avais pas soulignée dans le projet de décret porte sur la facilitation à l'accès au jury CAP afin d'acquérir la composante pédagogique nécessaire pour accéder à certains titres. Vous n'en aviez pas encore annoncé les modalités.

Durant cet été, j'ai vu circuler sur les réseaux sociaux beaucoup de visuels caricaturaux venant d'enseignants et d'autres personnes. Par exemple: «Martine devient maîtresse après trois jours de formation»; «Vous avez de l'expérience dans l'enseignement? J'ai appris à mon chien à donner la patte. Formidable! Bienvenue»; ou encore: «Prof dating, je fais des sudoku et des mots fléchés, j'ai fait un peu de baby-sitting. Félicitations, vous êtes officiellement enseignant.» Or le CAP constitue un titre pédagogique en soi qu'il convient de valoriser et non pas de dénigrer. Il n'y a pas d'enseignant de seconde zone.

Paradoxalement, ce sont souvent les mêmes personnes qui d'un côté réclament des renforts dans l'enseignement, et de l'autre vilipendent toute initiative qui vise à lutter contre les pénuries ciblées. Peut-être est-ce dû à une mauvaise information.

En tout cas, le gouvernement doit réagir face à ce déferlement de publications cyniques sur les réseaux sociaux qui contribuent à dévaloriser l'image et le statut de l'enseignant. J'estime avec mon groupe qu'il faut y remédier sans attendre par la diffusion d'une communication sérieuse, unique et centralisée à ce sujet. À l'inverse, de nombreuses personnes cherchent des informations sur cette facilitation à l'accès au jury CAP. Cette communication pourrait aussi les aider.