Question sur la neutralité dans l'enseignement obligatoire

28/09/2021

Question orale de Mme Stéphanie Cortisse à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, sur la neutralité dans l'enseignement obligatoire

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- L'article 24 de la Constitution prévoit que la Communauté française organise un enseignement neutre. Celle-ci a adopté deux décrets à cet effet: le décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l'enseignement de la Communauté et le décret du 17 décembre 2003 organisant la neutralité inhérente à l'enseignement officiel subventionné et portant diverses mesures en matière d'enseignement. 

En 2019, ces deux décrets ont été intégrés au Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire, qui contient en son Titre VII, intitulé «Des droits et devoirs des élèves et de leurs parents», un chapitre IV intitulé «De la neutralité», lequel contient l'article 1.7.4-4: «Le contrôle du respect, au sein des écoles qui y sont tenues, des principes du présent Chapitre est assuré par le Service général de l'inspection. Tout manquement constaté par un membre du Service général de l'inspection aux principes visés à l'alinéa 1er fait l'objet d'un rapport adressé immédiatement par la voie hiérarchique à l'inspecteur coordonnateur ou l'inspecteur général concerné. Celui-ci le transmet, accompagné de son avis sur les suites à y donner, à l'Administrateur général de l'enseignement.» 

Je constate toutefois que le Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire ne reprend plus la disposition contenue dans les deux décrets précités, selon laquelle le gouvernement présente au Parlement, tous les deux ans, un rapport sur l'application de ces décrets. J'ai consulté les débats parlementaires de l'époque et j'ai constaté que la question n'a pas été soulevée. Il est donc étonnant que cette disposition ait disparu. 

Pour quelles raisons la disposition qui prévoyait la transmission au Parlement par le gouvernement d'un rapport bisannuel sur l'application de ces principes de neutralité a-t-elle été abrogée en 2019? Quand le dernier rapport basé sur cette ancienne disposition a-t-il été rendu? Est-il disponible?

Le dispositif de contrôle du respect des principes de neutralité au sein des écoles par le Service général de l'inspection (SGI) est-il opérationnel? Des faits contraires à la neutralité, dans le chef d'élèves ou du personnel enseignant, ont-ils été relevés depuis votre entrée en fonction? 

Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation.- Madame la Députée, l'essentiel des dispositions des deux décrets du 31 mars 1994 et du 17 décembre 2003 a été repris dans le Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire, et ce, soit à droit constant, soit avec quelques modifications de fond. Effectivement, les deux mesures proposant qu'un rapport soit transmis tous les deux ans par le gouvernement à l'ancien Conseil de la Communauté française n'ont pas été retenues et, de ce fait, ont été abrogées. Les travaux parlementaires très denses sur ce texte fondamental n'ont pas abordé cet aspect. 

Il est ainsi indiqué dans le commentaire de l'article 1.7.4-4 que les alinéas que vous évoquez font exception à la reprise de l'article 10 du décret du 31 mars 1994 et de l'article 11 du décret du 17 décembre 2003 dans le Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire, sans plus de justifications. Le Conseil d'État, pourtant très pointilleux sur ce chapitre du décret, n'a rien trouvé à redire. 

Dans les faits, ces deux dispositions n'ont jamais été suivies d'effets, par défaut d'éléments susceptibles d'y figurer. 

Le dispositif de contrôle du respect des principes de neutralité, tel qu'il est prévu dans le décret du 10 janvier 2019 relatif au service général de l'Inspection, est bien opérationnel. Lorsqu'un manquement substantiel présumé relatif à la neutralité est détecté au cours d'une mission d'audit, d'une évaluation d'un dispositif pédagogique ou éducatif ou encore à la demande du gouvernement, le SGI peut être mandaté pour mener une mission d'investigation et de contrôle spécifique visant à instruire le dossier et à émettre un avis. 

Depuis l'entrée en vigueur du décret précité, aucune mission de ce type n'a encore été réalisée pour donner une suite à la détection d'un manquement potentiel aux principes de neutralité. 

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Madame la Ministre, la question de la neutralité est liée à mes préoccupations concernant l'autocensure des enseignants, à propos desquelles je vous ai déjà interrogée à plusieurs reprises. Dans ce contexte, vous m'avez annoncé que vous alliez charger le SGI de procéder à une évaluation de la situation ciblée sur la contestation des savoirs dispensés à l'école. 

En effet, d'après le Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire, l'école ne s'interdit l'étude d'aucun champ du savoir et forme les élèves à reconnaître la pluralité des valeurs qui constituent l'humanisme contemporain. 

Par ailleurs, il est prévu que le personnel enseignant «traite les questions qui touchent la vie intérieure, les croyances, les convictions politiques ou philosophiques, les options religieuses de l'homme, en des termes qui ne peuvent froisser les opinions et les sentiments d'aucun des élèves». Je m'interroge sur ce bout de phrase. 

En effet, le Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire prévoit déjà que les enseignants doivent exposer et commenter les sujets "avec la plus grande objectivité possible", avec une "constante honnêteté intellectuelle", "en s'abstenant de toute attitude et de tout propos partisans dans les problèmes idéologiques, moraux ou sociaux". 

Pourquoi ce bout de phrase a-t-il été ajouté? Si l'enseignant s'exprime en des termes objectifs et respectueux, comment connaître les opinions et sentiments de chacun des élèves et éviter de les froisser? Pourquoi éviter de les froisser alors que certains rejettent des sujets qui ne correspondent pas à leurs croyances religieuses? Nous avons déjà évoqué de tels sujets en abordant l'autocensure des enseignants: les faits historiques, la vérité scientifique, les avancées éthiques, les pratiques démocratiques, l'avortement, l'évolutionnisme, l'homosexualité ou la légitimité de la femme comme figure d'autorité. 

Ce bout de phrase pourrait à mon sens induire une certaine autocensure dans le chef des enseignants, ce qui est inacceptable. Je vous réinterrogerai donc sur ce sujet primordial dans la société actuelle.