Question sur la réforme de l'enseignement spécialisé

22/09/2020

Question de Mme Stéphanie Cortisse à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, sur la réforme de l'enseignement spécialisé.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Le 12 mai dernier, je vous interrogeais par rapport à la réforme de l'enseignement spécialisé, tel que la DPC la prévoit avec l'organisation de tables rondes qui réuniront les spécialistes du secteur, et ce, en concertation avec les acteurs de terrain.

Pour rappel, j'avais lancé plusieurs thèmes sur lesquels ces tables rondes devraient porter: une augmentation du nombre de stages au sein des établissements d'enseignement spécialisé dans le cadre de la formation initiale des enseignants; le renforcement de l'obligation scolaire dans l'enseignement spécialisé; l'augmentation de l'offre de stages pour les élèves du secondaire spécialisé qui disposent des capacités d'intégration dans le monde du travail; l'encadrement des jeunes par un personnel spécifique, notamment des assistants sociaux, pour favoriser leur insertion professionnelle pendant les stages et à la fin du secondaire spécialisé; le renforcement de la lisibilité de l'offre de l'enseignement spécialisé; une amplification de l'information de qualité à destination des parents; l'amélioration du transport scolaire et de son encadrement vers les établissements d'enseignement spécialisé.

Vous m'aviez alors précisé, Madame la Ministre, que ce projet de tables rondes était en cours d'organisation, que le processus aurait dû être clôturé avant la fin de l'année scolaire, mais que les mesures de confinement alors en vigueur avaient nécessité la suspension de la réflexion aussi longtemps que tous les acteurs ne pouvaient pas à nouveau être réunis en présentiel. Vous ne saviez donc pas encore me présenter un calendrier, mais vous me précisiez que vous reprendriez l'organisation de ce projet dès que possible.

En outre, vous évoquiez plusieurs chantiers en cours dans le cadre du Pacte pour un enseignement d'excellence en rapport avec l'enseignement spécialisé: la réforme de l'intégration et des pôles territoriaux, mais aussi l'installation des aménagements raisonnables, le pilotage de l'enseignement spécialisé, le dispositif de suivi des élèves ou encore la réforme du parcours pour améliorer la transition après l'enseignement spécialisé.

Au cours de la séance plénière du 9 septembre dernier, deux de mes collègues sont venus vers vous avec des questions d'actualité concernant précisément la création de pôles territoriaux et la circulaire 7689 du 19 août 2020 qui prévoit la suppression des ITT pour les élèves à besoins spécifiques dans l'enseignement ordinaire.

Vous n'avez malheureusement pas eu le temps de répondre à toutes les questions vu les limites de temps que vous a impartis le règlement du Parlement. C'est la raison pour laquelle, je me permets de m'adresser de nouveau à vous à propos de cette question aujourd'hui.

Vous avez été interpellée à cet égard par l'ensemble des directeurs des 56 écoles d'enseignement spécialisé de l'enseignement libre. J'ai pour ma part recueilli les inquiétudes de plusieurs logopèdes qui craignent des pertes d'emploi à la suite de ces changements.

En ce qui concerne la réforme de l'intégration, comptez-vous prévoir un dispositif spécifique ou une période transitoire pour les élèves qui sont strictement et spécifiquement visés par l'ITT?

Par ailleurs, par rapport à la création de pôles territoriaux, pourriez-vous rassurer les logopèdes et les autres membres de l'équipe éducative qui craignent des pertes d'emploi à la suite de ces changements?

Qu'en est-il de l'avancement des autres chantiers dont vous aviez parlé en mai dernier?

Enfin, qu'en est-il de la mise en place des tables rondes prévues par la DPC? Pouvez-vous présenter un calendrier à présent? Des rencontres ont-elles déjà pu avoir lieu? Dans l'affirmative, pouvez-vous déjà en tirer des conclusions? Quels sont les sujets débattus, notamment par rapport à ceux que je vous ai proposés?

Mme Caroline Désir, ministre de l'Éducation.- Les directions, mais aussi les nombreux parents d'enfants bénéficiant actuellement d'une intégration, sont inquiets. J'entends les rassurer!

Le Pacte pour un enseignement d'excellence a pour objectif de rendre notre système éducatif plus efficace et plus équitable. À ce titre, l'un de ses cinq axes stratégiques vise à améliorer le rôle de l'enseignement comme source d'émancipation sociale, tout en misant sur l'excellence pour tous, et à favoriser la mixité et l'école inclusive dans l'ensemble du système éducatif, tout en développant des stratégies de lutte contre l'échec scolaire, le décrochage et le redoublement.

Plus concrètement, l'avis n°3 du Groupe central prévoit, d'une part, de renforcer les mesures qui favorisent l'inclusion ou le maintien dans l'enseignement ordinaire d'élèves présentant des besoins spécifiques, moyennant des aménagements raisonnables, et, d'autre part, d'encourager l'intégration permanente -totale ou partielle- d'élèves de l'enseignement spécialisé dans l'enseignement ordinaire, moyennant un soutien spécifique de la part des acteurs de l'enseignement spécialisé.

Un élève qui est inscrit et fréquente l'enseignement spécialisé pourra toujours -et c'est d'ailleurs une des grandes lignes directrices du Pacte- être intégré dans l'enseignement ordinaire. Il sera toujours accompagné par le personnel de l'enseignement spécialisé. C'est donc bien l'expertise de ces professionnels qui est reconnue.

Le déploiement progressif, dès la rentrée scolaire 2021, des pôles territoriaux, devra contribuer à la démarche évolutive qui est à la base du dispositif de l'école inclusive. C'est aux pôles territoriaux que reviendra la mission progressive d'accompagnement de tous les élèves à besoins spécifiques, le cas échéant, tout au long de leur scolarité.

Si le mécanisme de l'ITT est supprimé, les moyens qui y sont alloués ne le sont pas. Ce sont près de 80 millions d'euros qui seront injectés cette année scolaire pour l'accompagnement des élèves à besoins spécifiques, contre 15 millions il y a six ans. Ils seront répartis un peu différemment afin de mieux couvrir l'ensemble du territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de mieux rencontrer la diversité des besoins par un dispositif plus équitable.

Ce changement de système sera accompagné d'une phase de transition afin de préserver les projets en cours et à venir et l'accompagnement de tous ces élèves qui en bénéficient aujourd'hui.

La réforme de l'intégration prévue par le Pacte pour un enseignement d'excellence, entamée par ma prédécesseure, ne vise bien évidemment pas la seule suppression de l'ITT. En tant que réforme systémique, le Pacte prévoit de favoriser le dispositif de l'école inclusive par toute une série d'autres initiatives complémentaires qui doivent permettre aux équipes éducatives de prendre en charge une plus grande hétérogénéité des classes dans l'enseignement ordinaire.

Plusieurs mesures viennent se compléter. À cet égard, je citerai l'octroi de périodes complémentaires pour le renforcement de la langue d'apprentissage, la mise à disposition de périodes complémentaires pour développer l'accompagnement personnalisé des élèves, l'encadrement complémentaire de logopèdes dans l'enseignement maternel, la réforme de l'orientation vers l'enseignement spécialisé, l'instauration progressive du dossier d'accompagnement de l'élève, la transposition progressive du tronc commun, la réforme de la formation initiale des enseignants et de la formation en cours de carrière. Ces deux derniers points font l'objet de travaux et je reviendrai vers vous en temps voulu.

Cette année scolaire, l'encadrement de l'enseignement spécialisé a été préservé. Au 30 septembre, seuls les recomptages à la hausse seront pris en considération. En outre, toutes les intégrations temporaires signées entre le 15 janvier et le 3 juillet 2020 ont été transformées en IPT, ce qui équivaut à quatre périodes d'accompagnement par élève que l'école peut mutualiser pour assurer un accompagnement efficace et envisager l'accompagnement d'autres élèves de l'enseignement ordinaire ayant les mêmes besoins. C'est une pratique courante sur le terrain.

De plus, le décret du 7 décembre 2017 qui est entré en vigueur à la rentrée 2018 permet d'établir un protocole d'aménagement raisonnable au bénéfice de l'élève. Une nouvelle application nous permettra de quantifier le nombre de protocoles complets.

L'ensemble des travaux menés dans cette perspective sont soumis à des concertations régulières avec les acteurs institutionnels de l'enseignement. Ces travaux sont en cours; leur objectif final est la construction d'une école plus inclusive. Dès que le modèle sera totalement finalisé, il fera évidemment le sujet d'une communication auprès des publics cibles.

Nous sommes vraiment dans les dernières discussions en ce moment. Nous devons toutefois veiller à procéder aux étapes de concertation dans l'ordre. Certaines sont prévues dans le cadre du Pacte pour un enseignement d'excellence. Évidemment, il est important après de communiquer et d'échanger avec les directions, parents d'élèves, etc.

Une difficulté est le report de la création des pôles d'un an, qui a engendré de la confusion dans la communication. Je le regrette! C'est pourquoi j'essaie de rassurer au maximum les parents. Leurs enfants continueront à être accompagnés de manière professionnelle.

En attendant la mise en place progressive des pôles territoriaux, des projets pilotes dans l'enseignement spécialisé démarrent dès cette rentrée 2020-2021. C'est ainsi que 30 postes de coordinateurs viennent d'être affectés aux différents réseaux et que 1 000 périodes ont été accordées au projet «Aménagement raisonnable» dans l'enseignement ordinaire existant.

Je serais très attentive à l'impact social de cette réforme et je prendrais des mesures pour permettre une transition la plus harmonieuse possible entre ces deux systèmes.

Quant aux tables rondes, je vous remercie pour vos nombreuses suggestions que j'ai communiquées à la cellule responsable. Elle se mettra au travail dans les prochaines semaines pour les organiser.

J'espère que tous ces éléments démontrent que ma volonté n'est pas d'opérer un retour en arrière. Au contraire, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles partage l'envie de favoriser l'inclusion, de poursuivre et d'améliorer l'accès à des mécanismes d'aide et d'accompagnement, au bénéfice du plus grand nombre d'élèves à besoins spécifiques. L'ambition est vraiment de construire une école plus inclusive.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Je suis rassurée, car je vois que la volonté de votre gouvernement, Madame la Ministre, n'est pas d'opérer un retour en arrière. Son ambition est de maintenir le mécanisme d'intégration des élèves à besoins spécifiques dans l'enseignement ordinaire et d'en améliorer l'accès, tout en réservant les places disponibles dans l'enseignement spécialisé aux élèves qui en ont réellement besoin.

Je vous ai entendue dire que vous seriez attentive aux incidences sociales, mais j'aurai espéré obtenir plus de précisions à ce sujet. Je reviendrai donc ultérieurement sur cet aspect, car il est primordial que les logopèdes, mais aussi les autres membres des équipes pédagogiques et médicales, soient rassurés sur l'incidence potentielle de cette réforme sur leurs emplois. Ils pourront travailler sereinement une fois qu'ils sauront que leurs emplois ne sont plus menacés.

Je note enfin que les tables rondes seront rapidement organisées et je vous remercie d'avoir pris note des propositions que je vous avais faites et de les avoir transmises à qui de droit. Je ne manquerai pas de suivre ce dossier avec attention.