Question sur la représentation officielle des élèves (suivi)
Question de Mme Stéphanie Cortisse à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, à propos de la représentation des élèves dans l'enseignement obligatoire (suivi)
Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Madame la Ministre, je vous ai interrogée en décembre dernier sur la création, dans l'enseignement obligatoire, d'organisations représentatives communautaires (ORC) pour les élèves. Ces structures permettront à ces derniers de faire entendre leur voix de manière officielle auprès du gouvernement, mais aussi au sein d'organes officiels comme le comité de concertation du Pacte pour un enseignement d'excellence.
Pour rappel, dans l'avis n° 3 du Pacte, le Groupe central s'est accordé, en son point OS5.5 intitulé «Renforcer la démocratie scolaire», sur la nécessité de «donner un cadre légal à l'existence des organisations représentatives des élèves, à l'instar de ce qui existe pour les associations de parents», j'insiste sur le pluriel, «des organisations». Le chantier n° 16 du Pacte est consacré au renforcement de la démocratie scolaire et au bien-être à l'école. Enfin, la Déclaration de politique communautaire (DPC) prévoit de «permettre une participation des représentants de l'ensemble des élèves du degré supérieur de l'enseignement secondaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles aux travaux du comité de concertation du Pacte pour un enseignement d'excellence qui les concernent directement», là aussi, j'insiste sur le pluriel «des représentants».
Vous avez signalé en réponse à une question que je vous ai posée lors de la réunion du 8 décembre passé de notre commission «qu'un volet du Pacte était consacré à la création d'une organisation représentative des élèves au niveau du système» et qu'à ce stade, vous analysiez «les différentes modalités de création d'une organisation représentative des élèves», ici je voudrais noter le singulier: «une organisation». Vous avez précisé que les travaux ont été entamés et des dispositifs participatifs associant les élèves ont été menés et sont encore en cours. Vous ajoutiez que les travaux que vous menez se basent sur une analyse comparative des modes de représentation des élèves dans d'autres pays.
Je n'avais pas manqué de vous faire part de mon grand étonnement de votre volonté de ne reconnaître qu'une seule ORC, en l'occurrence le Comité des élèves francophones (CEF). En effet, comme je vous le précisais, ce n'est pas parce qu'à l'heure actuelle, aucune autre organisation que le CEF ne se revendique comme syndicat des élèves qu'il faudrait que le décret que nous adopterons soit une photographie de la situation actuelle.
Il faut prévoir des balises permettant à d'autres ORC de se créer en plus du CEF. Il me paraît évident que le pluralisme ne peut pas, par définition, dépendre que d'un seul organe de représentation. Nous devons éviter d'en arriver, à l'instar de ce qu'il se passe dans l'enseignement supérieur avec la Fédération des étudiants francophones (FEF), à une situation de monopole d'une seule organisation représentative. Vous m'avez répondu que «les réalités sont extrêmement différentes dans l'enseignement obligatoire et dans l'enseignement supérieur à de multiples niveaux» et que «le contexte de l'école et les caractéristiques du public visé, en l'occurrence les élèves, supposent donc une réflexion spécifique et distincte de celle qui peut concerner l'enseignement supérieur».
Or je vous donnais un simple exemple très parlant démontrant toute l'importance de créer plusieurs ORC, en tout cas de permettre à plusieurs de se créer. Je vous le rappelle. Il concernait le deuxième sondage du CEF réalisé en avril 2020 et intitulé «La fin de l'année scolaire: t'en penses quoi?». Le CEF émet des recommandations et des avis destinés aux pouvoirs publics. D'emblée, il précise dans son rapport, en toute transparence: «Nous aurons parfois des prises de position et recommandations qui contre-diront (sic) l'avis général relevé afin que les mesures les plus spécifiques soient prises pour les élèves en difficultés.»
Il ressortait d'ailleurs de ce sondage, en juin dernier, qu'un seul élève sur cinq était en faveur d'un passage automatique à l'année supérieure dans l'enseignement secondaire, compte tenu de la crise sanitaire. Mais le CEF affirme tout de même, dans les recommandations qui nous sont destinées, que le passage à l'année supérieure doit être automatisé. Il s'agit donc d'une prise de position plutôt idéologique, voire politique, comme le fait la FEF pour l'enseignement supérieur. Cette position n'est en effet pas partagée par tous les élèves, seul un répondant sur cinq étant favorable à cette solution.
Je le répète, ce simple exemple démontre qu'une ORC ne va pas toujours aller dans le sens de la majorité des élèves consultés, qu'elle a des prises de positions plus idéologiques et ne pourra donc pas être pluraliste. Enfin, je m'interroge sur la légitimité d'une ORC si ses membres ne sont pas élus, comme c'est actuellement le cas du CEF.
Pouvez-vous me présenter l'état d'avancement des travaux du chantier n° 16 du Pacte, précisément en ce qui concerne la représentation des élèves? Avez-vous mené, comme prévu, une consultation des élèves? De quelle manière? Avez-vous effectué une analyse comparative des modes de représentation des élèves dans d'autres pays? Qu'en ressort-il? Envisagez-vous aussi d'examiner ce qui se fait en Flandre? Avez-vous analysé les éléments de réflexion que je vous exposais en décembre dernier sur la nécessité de prévoir des balises dans le décret pour que d'autres ORC, légitimement élues, voient le jour et coexistent de manière démocratique avec le CEF? Un avant-projet de décret créant ces ORC dans l'enseignement obligatoire est-il en rédaction? Si oui, quand pourra-t-il être présenté au Parlement?
Enfin, vous avez déclaré qu'un volet du chantier «porte également sur d'éventuelles perspectives pour les élèves de l'enseignement fondamental, ceux-ci ne devant pas non plus être oubliés dans ce chantier». Pouvez-vous me présenter les pistes de réflexion existant pour ces élèves de primaire? Pensez-vous qu'à leur âge, ils ont des avis à donner et que les élèves du secondaire ne doivent pas être les seuls à se faire entendre?
Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation.- Les travaux du chantier n° 16, qui portent sur la participation et la démocratie scolaire, avancent.
Nous avons reçu dernièrement le rapport commandé au CEF dans la perspective du cadre participatif du Pacte. Il porte sur les conclusions obtenues au terme de l'exercice participatif, qui a permis la consultation des élèves sur la question de la mise en place d'un ORC. Cette consultation a été organisée dans le courant de 2020, avec toutes les difficultés que la crise a pu impliquer, et a démarré par une première action de recrutement d'ambassadeurs d'élèves pour participer à la consultation. Ce recrutement a été fait par le biais des réseaux sociaux et d'une prise de contact direct avec les élèves qui s'étaient déjà proposés pour être ambassadeurs les années précédentes. La diversité est toujours de mise pour répondre aux exigences de méthode de la consultation. Il y avait donc des élèves provenant de tous les réseaux, niveaux, types, bassins d'enseignement et indices socioéconomiques. Vingt et un élèves y ont effectivement participé. La seconde étape a consisté en la tenue de séances d'information des élèves sur le contexte et le sens de la consultation à laquelle ils s'étaient engagés. Une information sur les sondages antérieurs déjà conduits par le CEF, ainsi qu'une vidéo explicative du parcours d'un décret en Fédération Wallonie-Bruxelles, leur ont été communiqués au préalable. Ensuite, des échanges se sont tenus autour de quatre questions: qu'est-ce qu'une ORC et à quoi cela sert-elle? Où en est-on dans la création du décret? Qu'est-ce qui a été fait les années précédentes? Quel est leur rôle en tant qu'ambassadeurs? Ensuite, un deuxième atelier a eu lieu. Il a cherché à présenter les modèles existant ailleurs, en Flandre, au Luxembourg, en France, en Slovénie et en Irlande. Enfin, le troisième atelier a fait travailler les élèves en deux groupes, l'un sur un modèle de démocratie directe, l'autre sur un modèle de démocratie indirecte.
Les conclusions de ce rapport, ainsi que l'analyse des modèles étrangers, sont analysées de manière approfondie pour permettre de dégager des propositions concrètes d'ici juin. Nous aurons donc à ce moment des pistes nous permettant de rédiger un avant-projet de décret nécessaire à la réalisation de cet objectif de l'avis n° 3 du Pacte.
Madame la Députée, vous parlez de pluralisme de la représentation, mais je pense que nous ne devons pas nous tromper de sujet: il s'agit de prévoir que les différents niveaux et types d'enseignement puissent justement être représentés. C'est d'ailleurs toute la difficulté de l'exercice que de permettre une représentation des élèves en tenant compte de leur âge et de leur niveau de développement.
En l'occurrence, je ne crois vraiment pas que la comparaison que vous faites avec la situation que connaît l'enseignement supérieur soit opportune: en effet, si nous voulons une représentation des élèves par eux-mêmes, nous devrons nécessairement tenir compte de leur âge et du temps scolaire, fondamentalement différents de ceux des organes classiques de représentation communautaire de l'enseignement, tout comme des nôtres.
Enfin, je comprends vos inquiétudes sur la place que pourrait prendre le CEF, mais je crois utile de vous faire savoir qu'elles sont partagées par le CEF lui-même: celui-ci n'a pas l'intention de prendre des positions, mais toujours de faire remonter les opinions des élèves, même quand elles sont totalement isolées. Je n'ai pas connaissance d'un seul de leurs rapports où cette précision n'aurait pas été mentionnée. Il y a une vraie exigence de neutralité dans la mission que le CEF exerce dans le cadre participatif du Pacte. Cette ASBL est d'ailleurs en réflexion sur ses propres perspectives d'évolution, précisément pour éviter que les mêmes personnes ne soient parties prenantes de l'ORC, même à titre d'organisateur, tout en continuant de se voir confier des missions consultatives concernant tous les élèves, au sens large.
Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Je n'ai évidemment rien contre le CEF: je leur ai d'ailleurs exposé tout ce que je vous ai énoncé aujourd'hui dès notre première rencontre. J'estime au contraire qu'une officialisation des organisations représentatives des élèves de l'enseignement obligatoire est nécessaire. S'il importe d'entendre des acteurs de l'enseignement, comme les fédérations de pouvoirs organisateurs, les syndicats qui représentent le personnel enseignant, les fédérations de parents, il est aussi essentiel de se placer du point de vue des élèves.
Et comme vous le savez, Madame la Ministre, les syndicats, les fédérations de parents et les fédérations de pouvoirs organisateurs sont multiples. Je ne vous rejoins pas lorsque vous dites que le CEF ne prend pas de position idéologique - je vous en ai donné un exemple tout à l'heure qui prouve le contraire. Le CEF est à mes yeux le pendant de la FEF dans l'enseignement supérieur. Or la ministre Glatigny travaille à la représentativité des étudiants de l'enseignement supérieur. Plusieurs ORC peuvent coexister, mais les critères sont trop stricts. Depuis la disparition de l'Union des étudiants de la Communauté française (Unécof), qui était une autre organisation de représentation des étudiants, un problème de pluralisme se pose, comme tout le monde s'accorde à le dire. Il faut dès lors éviter que cette situation se reproduise dans l'enseignement obligatoire. Le pluralisme repose sur la coexistence de plusieurs organisations. Je ne manquerai pas de continuer à suivre ce dossier et d'insister auprès de vous, non seulement sous l'angle du pluralisme, mais aussi sur la légitimité et du mode d'élection des représentants des élèves.