Question sur la valorisation des langues régionales endogènes en FWB

16/11/2021

Question orale de Mme Stéphanie Cortisse à Mme Bénédicte Linard, Ministre de la Culture, intitulée «Valorisation des langues régionales endogènes en Fédération Wallonie-Bruxelles»

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Madame la Ministre, je vous ai déjà interrogée en juin dernier, par la voie d'une question écrite, sur le projet «Ma commune dit oui aux langues régionales» qui existe depuis 2018. Pour rappel, ce projet a pour but de créer un label et de constituer un réseau de communes labellisées s'engageant à mettre en œuvre, pendant trois ans, une série d'actions concrètes en faveur des langues régionales présentes sur leur territoire. Pour obtenir ce label, les communes doivent s'engager à mettre en œuvre au minimum quinze actions parmi celles listées, dont au minimum deux dans chacun des domaines cités, à savoir la communication, la culture, l'enseignement, la signalétique, le tourisme et la vie économique. Elles doivent ainsi obtenir un total de 100 points, sachant que chaque action équivaut à 5 ou 10 points. Je note que dans le secteur de l'enseignement, on ne recense que des actions à 10 points. Vous encouragez ainsi au maximum les initiatives prises dans les écoles pour valoriser les langues régionales. 

Vous nous dressiez alors un premier bilan très positif de cette action et sembliez accorder beaucoup d'intérêt à la valorisation des langues régionales endogènes qui font partie intégrante de notre patrimoine culturel. Vous encouragiez d'ailleurs de nouvelles communes à poser leur candidature. 

Vous précisiez notamment que l'enseignement des langues régionales dans les écoles constituait assurément un axe important de leur sauvegarde. Vous pointiez deux éléments qui ont attiré mon attention. 

Tout d'abord, vous souligniez que l'évaluation du projet insistait sur la possibilité de développer le catalogue des services mis à la disposition des communes et de permettre l'accès à des dispositifs financiers existants et prévus par le décret du 24 mars 2006 relatif à la mise en œuvre, la promotion et le renforcement des Collaborations entre la Culture et l'Enseignement. Comment allez-vous concrétiser cette recommandation? 

Ensuite, vous annonciez que le Conseil de la langue française et de la politique linguistique (CLFPL) menait actuellement une réflexion et soumettrait bientôt des propositions sur le nouveau cours d'éveil aux langues instauré en septembre 2020 à raison d'une période par semaine de la première année maternelle à la deuxième année primaire. Où en est la réflexion du CLFPL? Pourriez-vous nous présenter ses propositions? Comment encouragerez-vous l'apprentissage de notions de dialectes wallons ou bruxellois au sein du nouveau cours d'éveil aux langues? Collaborez-vous avec la ministre de l'Éducation Caroline Désir à cet égard?

En ma qualité de membre effectif de la Commission de l'Éducation, j'ai interrogé la ministre Désir lors de la réunion de la commission du 12 octobre dernier, sur le décret du 2 février 1983 relatif à l'étude, à l'École, des dialectes de la Wallonie, toujours en vigueur. Il prévoit que «dans l'enseignement primaire et secondaire, le recours à un des dialectes de Wallonie est autorisé chaque fois que les enseignants pourront en tirer profit pour leur enseignement, notamment pour l'étude de la langue française», et ce, à raison d'une heure par semaine maximum en primaire et dans le cadre d'activités complémentaires et parascolaires ou extrascolaires en secondaire. À la question de savoir si des actions pourraient être réalisées pour promouvoir ce décret auprès des acteurs de l'enseignement, la ministre de l'Éducation m'a simplement répondu que ce décret datait de 1983 et que le contexte social n'était pas du tout le même qu'aujourd'hui. Cette réponse m'a étonnée et tranche avec votre position, puisque vous me précisiez de votre côté que «la dynamique a changé, puisqu'on constate un regain d'intérêt pour ces langues qui façonnent notre identité» et que vous constatiez «la vivacité des langues régionales appelées à prendre de l'extension». C'est la raison pour laquelle j'espère que vous pourrez sensibiliser la ministre de l'Éducation sur la sauvegarde de notre patrimoine culturel, dont font partie les dialectes wallons et bruxellois. 

Je rappelle qu'il est expressément prévu, dans le décret du 24 décembre 1990 relatif aux langues régionales endogènes de la Communauté française, que «la Communauté française de Belgique reconnaît en son sein la spécificité linguistique et culturelle de ceux qui usent à la fois d'une langue régionale endogène et du français», que «les langues régionales endogènes font partie du patrimoine culturel de la Communauté; cette dernière a donc le devoir de les préserver, d'en favoriser l'étude scientifique et l'usage, soit comme outil de communication, soit comme moyen d'expression» et que le gouvernement «confiera la tâche d'étudier et de proposer toutes les mesures aptes à préserver et à favoriser ces langues régionales endogènes aux organismes consultatifs dont il reconnaît la compétence». 

Les langues régionales endogènes sont-elles déjà reconnues au patrimoine immatériel de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur la base du décret du 11 juillet 2002 relatif aux biens culturels mobiliers et au patrimoine immatériel de la Communauté française? Dans la négative, pour quelles raisons? Une telle reconnaissance vous semble-t-elle envisageable? 

Par ailleurs, vous m'annonciez que la Direction de la recherche, en collaboration avec l'Observatoire des politiques culturelles (OPC) et le Conseil des langues régionales endogènes (CRLE), était en train de lancer une étude sociolinguistique sur la vitalité des langues régionales endogènes sur le territoire de la Fédération et que les futures données seraient précieuses pour mieux identifier les besoins linguistiques et territoriaux, sensibiliser les pouvoirs locaux à la promotion des langues sur leur territoire et développer des actions plus ciblées avec leur appui. Cette étude a-t-elle été finalisée? Pourriez-vous en présenter les conclusions? Comment votre gouvernement va-t-il les concrétiser? 

Envisage-t-il d'autres actions concernant la promotion des dialectes régionaux en Fédération en vue d'en perpétuer la subsistance? Dans l'affirmative, quelles seraient ces actions et selon quel calendrier pourraient-elles être menées? 

Mme Bénédicte Linard, Ministre de la Culture.- Comme vous le soulignez dans votre question, beaucoup de choses sont en cours afin de valoriser les langues régionales endogènes. Il y a deux semaines, j'ai d'ailleurs participé à la remise des prix littéraires de la Fédération Wallonie-Bruxelles, parmi lesquels se trouvent des prix spécifiquement attribués à des productions littéraires en langues endogènes. Le picard était, entre autres, mis à l'honneur. 

La réflexion du CLFPL quant à l'intégration de l'apprentissage des langues régionales endogènes dans le cadre plus général de l'éveil aux langues n'est pas encore finalisée. Le CLFPL s'est investi dans la réalisation de l'enquête que vous évoquez. Il s'agit d'une enquête à grande échelle sur la vitalité des langues régionales endogènes en Fédération Wallonie-Bruxelles. Les résultats devraient être disponibles dans le courant du premier quadrimestre 2022. Combinés à ceux de l'enquête sur la présence des langues régionales endogènes en milieu scolaire, ils devraient permettre au Conseil de développer des propositions réalistes, fondées sur une juste perception de la réalité et des attentes de tous les acteurs (enseignants, parents, élèves). Une fois ces résultats connus, je ne manquerai pas d'en faire part à ma collègue, Caroline Désir. 

Vous n'êtes pas sans savoir que le gouvernement s'est engagé à renforcer les collaborations entre culture et enseignement par la mise en œuvre du parcours d'éducation culturelle et artistique (PECA). Le cadre légal (dont le décret du 24 mars 2006), les dispositifs d'aides, etc., tout est en évolution afin d'atteindre les objectifs du PECA. 

Enfin, sur la question de la reconnaissance des langues régionales endogènes par le décret du 11 juillet 2002 relatif aux biens culturels mobiliers et au patrimoine immatériel de la Communauté française, permettez-moi de vous rappeler que le patrimoine immatériel repose avant tout sur des interactions humaines. Il s'exprime à travers les gestes, les savoir-faire, les pratiques artisanales, la transmission de génération en génération. Je vous renvoie à la définition de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003). Celle-ci est large, et ce, pour pouvoir s'adapter aux spécificités locales afin de permettre au mieux la préservation de la diversité culturelle à travers le monde. L'usage des langues endogènes fait, bien évidemment, partie de la richesse et du foisonnement culturel de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cependant, de cette définition, il apparaît que ce n'est pas la langue en tant que telle qui est reconnue et classée, mais davantage les pratiques qui permettent l'usage des langues endogènes et favorisent leur sauvegarde et leur transmission aux générations futures. C'est le cas, par exemple, par le biais du carnaval de Malmedy, le Cwarmê, ou encore avec la reconnaissance du Lundi parjuré (ou Lundi perdu) de Tournai. 

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Madame la Ministre, je salue à nouveau votre vif intérêt pour la promotion et la sauvegarde des langues régionales endogènes en Fédération Wallonie-Bruxelles. 

La presse écrite et radio s'est intéressée à la question que j'ai posée le mois dernier à votre collègue, la ministre Désir. J'ai reçu beaucoup de retours positifs à cet égard, avec des suggestions très concrètes que je n'ai pas manqué d'adresser par e-mail à votre cabinet. En revanche, j'ai également pu lire ou entendre un certain nombre de commentaires négatifs de personnes estimant qu'une députée effective en Commission Éducation n'avait pas à s'intéresser à un sujet «futile», alors que des dossiers doivent être traités prioritairement pour améliorer la qualité de notre enseignement. 

Il est important de nuancer cette idée: il ne s'agit pas de dispenser des cours de wallon à la place du français ou des langues étrangères. D'ailleurs, dès 2022, le premier cours de langue moderne étrangère sera avancé à la troisième primaire au lieu de la cinquième. Je souhaite, tout comme beaucoup d'intervenants du terrain, que les enseignants et les acteurs extérieurs à l'école puissent dispenser quelques notions de ces langues régionales, informer et sensibiliser les jeunes par rapport aux différents dialectes régionaux. Le sujet est tout sauf futile, car il est question de sauvegarder notre patrimoine culturel. Tout comme vous, j'estime que l'école a un rôle à jouer dans ce cadre, et j'espère que la ministre de l'Éducation finira par penser de même. 

Je ne manquerai pas de continuer à suivre les différents travaux en cours que vous venez d'évoquer, en parallèle à mon travail sur des dossiers structurants pour l'enseignement, dont les nombreux dossiers en cours en lien avec le Pacte pour un enseignement d'excellence.