Question sur l'autocensure des enseignants (suivi)

17/03/2022

Question orale de Mme Stéphanie Cortisse, Députée (MR), à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, à propos de l'autocensure des enseignants.

Mme Stéphanie Cortisse (MR). - La récente étude menée par le Centre d'action laïque (CAL) à propos de l'autocensure des enseignants montre que 40 % des enseignants avouent avoir déjà renoncé à aborder un sujet avec leurs élèves ou décidé d'en limiter le champ de réflexion pour éviter toute complication ultérieure.

Après des demandes émanant de ma collègue Françoise Mathieux et moi-même et au vu de la récente enquête précitée, vous avez annoncé, lors de la réunion du 18 mai 2021, votre souhait de charger le Service général de l'inspection (SGI) de procéder à une évaluation de la situation, spécifiquement ciblée sur la contestation des savoirs dispensés à l'école.

Vous avez ainsi rejoint la volonté de mon groupe d'objectiver le sentiment d'autocensure des enseignants, de cerner les sujets litigieux, ainsi que de mieux identifier les matériels pédagogiques et les formations nécessaires à l'encadrement du corps professoral.

Nous devons en effet permettre aux enseignants d'exercer leurs missions en toute liberté pédagogique et d'expression, le tout dans le cadre d'un dialogue serein et constructif avec leurs élèves.

En juin 2021, vous avez précisé que cette enquête serait effectuée en présentiel dans le courant de l'année scolaire 2021-2022 auprès d'un échantillon représentatif d'enseignants d'écoles primaires et secondaires, toutes zones et tous réseaux d'enseignement confondus.

Durant la réunion du 16 novembre dernier, vous nous avez expliqué la méthode retenue, à savoir une mission conçue en deux phases. Au préalable, vous annonciez souhaiter recueillir les adresses électroniques professionnelles des enseignants concernés par cette mission, à savoir ceux qui dispensent les cours d'éducation à la philosophie et la citoyenneté (EPC), de religion, de morale, de sciences et d'histoire en sixième année primaire, ainsi qu'en troisième et sixième années secondaires. La première phase consiste en une enquête en ligne adressée directement aux enseignants précités. La seconde phase consiste en une rencontre, en présentiel, entre les inspecteurs et un échantillon d'enseignants, l'idée étant de cerner le plus concrètement possible la problématique et de recenser les dispositifs pédagogiques déployés sur le terrain pour résoudre les difficultés nées de ces contestations.

Madame la Ministre, le SGI a-t-il mené cette enquête? Que ressort-il de cette évaluation? Un pourcentage d'enseignants similaire à celui dévoilé par le CAL - soit environ 40 % - a-t-il déclaré s'autocensurer sur certains sujets? Les sujets de contestation des élèves, à propos desquels les enseignants déclarent s'autocensurer, ont-ils été identifiés? Dans l'affirmative, quels sont-ils? Cette enquête précise-telle la discipline enseignée et le niveau dans lequel preste l'enseignant répondant? Avez-vous tiré des conclusions par rapport aux outils pédagogiques et formations nécessaires pour encadrer les enseignants dans le but de mieux lutter contre ce phénomène d'autocensure?

Par ailleurs, lors de la commission du 28 septembre dernier, j'avais analysé les dispositions sur la neutralité reprises dans le Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire.

Il y est notamment décrété que «l'école ne s'interdit l'étude d'aucun champ du savoir». Le personnel de l'enseignement «forme les élèves à reconnaître la pluralité des valeurs qui constituent l'humanisme contemporain». Il est par ailleurs prévu que le personnel enseignant «traite les questions qui touchent la vie intérieure, les croyances, les convictions politiques ou philosophiques, les options religieuses de l'homme, en des termes qui ne peuvent froisser les opinions et les sentiments d'aucun des élèves».

Je m'interroge sur ce dernier point. En effet le Code prévoit déjà que le personnel de l'enseignement doit exposer et commenter ces sujets avec «la plus grande objectivité possible», en «constante honnêteté intellectuelle» et en s'abstenant «de toute attitude et de tout propos partisans dans les problèmes idéologiques, moraux ou sociaux». Pourquoi le Code précise-t-il: «en des termes qui ne peuvent froisser les opinions et les sentiments d'aucun des élèves»?

Si l'enseignant s'exprime en des termes objectifs et respectueux, comment pourrait-il connaître les opinions et les sentiments de chacun de ses élèves par rapport à ces sujets et éviter de les froisser? Par-dessus tout, pourquoi devrait-il éviter de froisser un élève, alors que certains élèves rejettent des sujets entrant en confrontation avec leurs croyances religieuses, comme des faits historiques, des vérités scientifiques, des avancées éthiques, des pratiques démocratiques...? Je pense ici plus particulièrement aux problématiques de l'avortement, de l'évolutionnisme, de l'homosexualité ou encore de la légitimité de la femme comme figure d'autorité. Ce bout de phrase n'est-il pas de nature à induire une certaine autocensure dans le chef des enseignants?

Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation. - Madame la Députée, la mission d'évaluation concernant la contestation des savoirs que j'ai diligentée auprès du SGI comprend bel et bien deux phases. La première consistait en la participation des enseignants à un sondage en ligne conçu pour une approche quantitative. Cette partie est terminée et est en cours de dépouillement.

L'objectif de la seconde est d'organiser une rencontre en présentiel entre les membres du SGI et les enseignants concernés pour réaliser cette fois une approche qualitative. Cette phase a pris du retard en raison de la suspension de certaines activités du SGI au sein des écoles, et ce, en raison des rebonds de la crise sanitaire provoqués par le variant omicron. Ainsi, le dépôt du rapport initialement prévu le 30 mars 2022 a dû être légèrement retardé.

Il serait donc prématuré de vous communiquer les résultats de cette évaluation, notamment en ce qui concerne le pourcentage d'enseignants qui déclarent avoir songé à l'autocensure. En effet, les données n'ont pas encore été traitées dans leur intégralité.

Par ailleurs, les contestations ont bien entendu été relevées et feront l'objet d'une identification en termes de fréquence. Là encore, il convient de clôturer l'analyse des réponses données par les enseignants ayant participé à l'enquête.

Conformément au mandat confié au SGI, les disciplines envisagées concernaient les cours philosophiques - EPC, religion, morale - les cours de science et d'éveil à la science et les cours d'histoire et d'éveil à l'histoire en sixième année primaire, ainsi qu'en troisième et sixième années secondaires.

Lors des entretiens en présentiel, les collègues qui enseignent aussi dans d'autres années que celles sélectionnées, ont également pu faire part des difficultés rencontrées.

Pour votre parfaite information, il est important de préciser que l'enquête menée par le SGI repose sur un spectre beaucoup plus large que celle menée par le CAL, car quelque 2 300 enseignants sont concernés.

La mission portait également sur le recensement des dispositifs pédagogiques organisés pour faire face au phénomène et sur les besoins, en termes de ressources pédagogiques et de formation, tant initiale que continuée. Ici aussi, je ne suis pas encore en mesure de vous communiquer les résultats finaux.

Enfin, en ce qui concerne les dispositions reprises dans le Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire, exprimer la neutralité dans un décret est une chose délicate. Vous le savez, Madame la Députée, pour en avoir vous-même procédé à l'analyse.

Le Code prévoit bien que les sujets soient abordés dans le respect de la diversité des opinions et de la tolérance. Il indique également que l'école éduque au respect des libertés et des droits fondamentaux, tels que définis par la Constitution, la Déclaration universelle des droits de l'homme et les conventions internationales relatives aux droits humains et de l'enfant qui s'imposent à la Communauté.

Il est donc clair que les élèves dont les croyances et les opinions se trouvent être en contradiction avec les valeurs définies dans le Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire et les textes de référence seront inévitablement «froissés» par les apprentissages auxquels ils seront confrontés.

En effet, le rapport du SGI sur la contestation des savoirs démontrera que les référentiels des diverses disciplines n'évitent aucun sujet polémique, et ce, même lorsqu'un enseignant s'exprime comme il doit le faire dans des termes objectifs et respectueux. C'est le sens des dispositions sur la neutralité reprises dans le Code.

Il ne s'agit pas d'éviter les sujets qui froissent en pratiquant l'autocensure, mais bien les aborder de façon ouverte, pluraliste et bienveillante, pour faire progresser chez les élèves une culture de la tolérance et de l'esprit critique, quitte à les froisser s'ils restent intolérants. Il convient de ne s'interdire aucun sujet.

Pour autant, il ne faut pas les aborder n'importe comment, au risque de renforcer les clivages et fractures au sein de cette société miniature que constituent les classes. La priorité est bien d'installer et de faire vivre un dialogue respectueux entre élèves, mais également entre professeurs et élèves.

Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Madame la Ministre, cette problématique ne doit pas être sous-estimée. L'autocensure met à mal la liberté d'expression de nos enseignants sur certains sujets certes sensibles, mais essentiels pour nos jeunes.

Je vous remercie d'avoir partagé votre interprétation au sujet de ces dispositions sur la neutralité. Après en avoir bien pris connaissance, je ne manquerai pas de revenir vous interroger à ce sujet, ainsi que concernant l'enquête menée par le SGI.

Cette enquête devait être clôturée le 30 mars et vous n'avez pas évoqué la date de report. J'espère donc qu'elle le sera au cours de cette année scolaire, puisque la crise de la Covid-19 est mise entre parenthèses.