Question sur le décrochage scolaire durant la crise

08/12/2020

Question de Mme Stéphanie Cortisse à Mme Caroline Désir, ministre de l'Éducation, sur la problématique du décrochage scolaire à la croisée entre l'Administration générale de l'aide à la jeunesse (AGAJ) et l'Administration générale de l'enseignement (AGE).

Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Madame la Ministre, lors de la réunion de commission du 7 juillet dernier, je vous ai interrogée sur l'indispensable amélioration de la collaboration entre l'Administration générale de l'enseignement (AGE) et l'Administration générale de l'aide à la jeunesse (AGAJ) en matière de réinsertion scolaire des jeunes placés en institutions publiques de protection de la jeunesse (IPPJ). Cette réinsertion scolaire est nécessaire tant au sein des IPPJ qu'à leur sortie, et également lorsqu'un mineur placé en IPPJ suit une scolarité extra-muros. Ma question découlait des nombreuses remarques à cet égard émises par la Cour des comptes dans son rapport du 25 février 2020 portant sur la politique de placement des jeunes dans les IPPJ.

Mon intention est aujourd'hui d'aborder la problématique générale du décrochage scolaire, qui est de plus en plus prégnante depuis le début de la crise sanitaire. Selon les chiffres de l'administration que vous avez dévoilés lors de la séance plénière du 25 novembre, l'absentéisme scolaire concernait 12 000 élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles en novembre 2020, contre 8 000 en novembre 2019, soit une augmentation de 50 %. Vous précisiez que le phénomène de décrochage scolaire s'était effectivement amplifié lors de la crise sanitaire et qu'il était nécessaire de s'y attaquer. À cet égard, vous avez rappelé l'existence de la procédure de reprise de contact avec les parents ou encore la possibilité de poursuites judiciaires à leur encontre.

Lors de la réunion de la commission de l'Aide à la Jeunesse du 23 juin dernier, votre collègue la ministre Glatigny avait mentionné la création d'un groupe de travail faisant le lien entre les secteurs de l'aide à la jeunesse et de l'enseignement afin d'analyser les besoins organisationnels et les synergies qui doivent permettre d'estimer plus objectivement la réelle réinsertion scolaire des jeunes en décrochage. Par ailleurs, Mme Glatigny et vous-même avez confirmé que la meilleure collaboration entre l'AGAJ et l'AGE était l'un des points du chantier n° 13 du Pacte pour un enseignement d'excellence relatif à la mise en œuvre du plan de lutte contre le décrochage scolaire.

Le 7 juillet toujours, vous m'avez précisé que, si des collaborations existaient déjà entre les deux administrations, les efforts devaient être poursuivis, voire intensifiés pour que les jeunes puissent bénéficier d'une réinsertion sociale et scolaire satisfaisante. Vous avez ajouté que vous seriez très attentive à la création du groupe de travail annoncé par Mme Glatigny, ainsi qu'aux travaux du chantier n° 13 du Pacte pour un enseignement d'excellence, en particulier ceux portant sur le dispositif interne d'accrochage scolaire (DIAS).

Le 6 octobre 2020, la ministre Glatigny répondait à une question orale de M. Eddy Fontaine au sujet de l'application du décret du 21 novembre 2013 organisant des politiques conjointes de l'enseignement obligatoire et de l'Aide à la jeunesse en faveur du bien-être des jeunes à l'école, de l'accrochage scolaire, de la prévention de la violence et de l'accompagnement des démarches d'orientation. Elle précisait que ce décret était en cours d'évaluation et qu'une journée d'étude était programmée en février 2021.

Toutefois, Madame la Ministre, le 25 novembre dernier, vous n'avez pas rappelé du rôle crucial joué par les services d'accrochage scolaire (SAS) qui dépendent tant de l'AGAJ que de l'AGE et qui accueillent et aident temporairement sur les plans social, éducatif et pédagogique des élèves mineurs en situation d'absentéisme ou de décrochage scolaire. L'objectif de chaque prise en charge est la réintégration de ces élèves dans une structure scolaire ou une structure de formation agréée dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions possible. Dans le contexte actuel entraînant une augmentation alarmante du décrochage scolaire chez les jeunes en Fédération Wallonie-Bruxelles, les acteurs du secteur souhaiteraient des rencontres et des concertations avec votre cabinet et celui de la ministre Glatigny.

Avez-vous reçu des demandes de rencontres de la part des SAS? Si oui, quelles suites y avez-vous apportées? Des rencontres ont-elles eu lieu en présence de la ministre Glatigny? Le cas échéant, à quels intervalles?

Quel est l'état d'avancement du chantier n° 13 du Pacte pour un enseignement d'excellence et, plus spécifiquement, les aspects portant sur le DAS? Compte tenu du contexte actuel et de la priorité de maintenir le plus de jeunes possibles accrochés à l'école, la mise en œuvre de ce chantier ne devrait-elle pas être accélérée, comme ce fut le cas pour d'autres chantiers comme celui relatif au numérique?

Un groupe de travail réunissant des acteurs de l'enseignement obligatoire et du secteur de l'aide à la jeunesse a-t-il bien été créé? Quelle est sa composition? A-t-il déjà rendu ses premières conclusions? Dans l'affirmative, quelles sont-elles? Dans la négative, quand seront-elles disponibles? Le décret du 21 novembre 2013 a-t-il été évalué? Où en est l'organisation de la journée d'étude qui devrait se tenir en février prochain?

Mme Caroline Désir, ministre de l'Éducation.- La lutte contre le décrochage fait l'objet d'un des chantiers du Pacte pour un enseignement d'excellence.

Vos questions pointent à juste titre les phénomènes d'absentéisme et d'abandon scolaire. Vous mentionnez des situations très diversifiées où la relation parents-école peut être la clé et soulignez, parmi les intervenants possibles, les DIAS et les SAS.

Fondamentalement, la question est encore plus complexe. Le décrochage commence bien souvent dans la classe, dans le cadre des apprentissages. Il peut prendre différentes formes, se matérialiser par un éloignement plus ou moins rapide de l'école et aller jusqu'à la rupture ou l'abandon scolaire.

Actuellement, divers acteurs et services travaillent quotidiennement sur ces questions: les centres psycho-médico-sociaux (PMS), les équipes mobiles, les SAS ou encore les acteurs du secteur de l'aide de la jeunesse qui aujourd'hui collaborent dans les DIAS, à travers les concertations locales ou au niveau zonal. Pourtant, tous les élèves ne sont pas pris en charge et l'absentéisme reste problématique.

Nous nous sommes d'ailleurs fixés, avec tous les acteurs de l'enseignement œuvrant au Pacte pour un enseignement d'excellence, un objectif de réduction de taux de décrochage d'ici 2030. Celui-ci est fixé décrétalement dans les objectifs d'amélioration du système scolaire.

Cela souligne que la crise sanitaire a aggravé un problème qui en réalité était déjà bien ancré dans le monde de l'enseignement.

Lors de l'élaboration du Pacte, l'approche choisie vise à renforcer la coordination des acteurs et dispositifs autour de trois axes. Un premier axe concerne la prévention lorsque les premiers signes apparaissent et que l'élève est encore présent dans l'école. Un deuxième axe, dit d'intervention, vise les situations où l'élève s'absente et que son éloignement de l'école nécessite d'autres types de prise en charge. Enfin, un troisième axe dit de compensation concerne les cas de décrochage avéré.

L'avis n°3 du Groupe central prévoit le renforcement de la collaboration et de la coordination des acteurs susmentionnés à travers le renforcement des cadres de coordination locale et zonale et en distinguant trois lignes permettant de clarifier le suivi et la prise en charge de l'élève. L'objectif est bien celui d'un meilleur accompagnement ou d'une meilleure prise en charge de tous les élèves en situation de décrochage scolaire.

Les SAS sont des acteurs essentiels dans la lutte contre le décrochage. En combinant l'expertise des secteurs de l'enseignement et de l'Aide à la jeunesse, ils ont vocation à apporter un soutien tout à fait spécifique aux élèves lorsque le décrochage est avéré. C'est pourquoi l'avis n°3 du Groupe central confie un rôle important aux SAS en tant qu'acteurs de troisième ligne, c'est-à-dire une fois que la situation d'absentéisme a atteint un seuil critique. Le SAS interviendra alors en vue de la réintégration réussie de l'élève à l'école.

Ces derniers mois, à plusieurs reprises, mon équipe et moi-même avons eu l'occasion de rencontrer, d'échanger, de traiter plusieurs points avec des représentants des SAS et des collaborateurs de ma collègue Valérie Glatigny. Ces rencontres avaient pour but, tantôt d'aborder la situation générale et compliquée des SAS, tantôt de résoudre des problèmes concrets du quotidien liés à leur fonctionnement.

Pour renforcer le rôle des SAS, il est essentiel de revoir leur organisation en lien avec les activités de prise en charge des élèves, le mode de collaboration avec les autres structures, le suivi des élèves qui sont passés par le SAS, les fonctions des membres du personnel ou encore le manque de places disponibles. Ces travaux du Pacte seront entrepris en collaboration avec ma collègue la ministre Glatigny.

Au-delà du rôle-clé que jouent les SAS dans la lutte contre le décrochage et des travaux à mener pour renforcer ce rôle, la réforme visant à lutter de manière plus résolue contre le décrochage exige une concertation plus large avec la ministre et le secteur de l'aide à la jeunesse. C'est pour aborder ces sujets que je rencontrerai la ministre Glatigny prochainement afin de discuter de plusieurs travaux du chantier du Pacte.

Le chantier est composé d'une dizaine de projets parmi lesquels la création de cadres de coordination locale et zonale renforcée, l'implication des acteurs dans la lutte contre le décrochage ou encore le développement de l'axe dit d'intervention lorsque l'absentéisme s'accentue et que la collaboration d'acteurs de deuxième ligne, comme les équipes mobiles, devient nécessaire.

L'organisation de la journée d'étude consacrée au décret du 21 novembre 2013 prévue à l'Université de Mons (UMONS) est prise en charge par le cabinet de la ministre Glatigny. Je vous invite donc à l'interroger à ce sujet.

En ce qui concerne les actions à déployer pour ramener les élèves à l'école, la formule de l'école à domicile, même si elle peut devenir un mode d'enseignement choisi par des familles dans des circonstances spécifiques, est source d'interrogations majeures. Les relations sociales sont essentielles pour les jeunes et constituent un élément central dans leur développement. Les potentielles conséquences psychosociales fâcheuses de l'absence de relation avec ses pairs pour un élève en construction sont bien réelles. Les professionnels de la santé mentale l'ont exprimé à de nombreuses reprises. De plus, certains foyers ne disposent pas des conditions et outils nécessaires à la dispense d'un enseignement optimal à la maison.

Il est nécessaire de développer la relation école-famille dans l'objectif d'une meilleure information sur les conséquences de l'absentéisme, d'une meilleure prévention grâce à l'amélioration des procédures de signalement et d'une clarification du rôle des intervenants et de la communication avec les parents.

C'est pourquoi nous devons, dans le cadre des travaux du Pacte, être particulièrement attentifs à développer cette dimension, et ce, de manière cohérente avec l'essentielle réforme des centres PMS et avec le chantier relatif au renforcement de l'enseignement maternel. La coopération de tous ces professionnels ainsi qu'une répartition bien définie des tâches, où le travail de chacun s'articule à celui des autres, sont indispensables. C'est la méthode la plus efficace pour remédier au décrochage scolaire et à l'absentéisme des élèves et pour aider ces derniers à se réengager dans le processus éducatif et pédagogique.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Madame la Ministre, je vous remercie pour toutes ces précisions. J'avais été particulièrement étonnée par les chiffres que vous aviez avancés en séance plénière le 25 novembre dernier. La veille, lors de la réunion de la commission de l'Éducation, vous précisiez pourtant que les taux d'absence injustifiée étaient relativement marginaux et à peine plus élevés que les taux d'absence généralement enregistrés dans les écoles. Le contraste entre ces deux réponses en avait interpellé plus d'un.

Je suis ravie de voir que vous prenez ce dossier à bras le corps. Avec un taux d'absence qui a augmenté de l'ordre de 50 % en une année, nous sommes bien loin de l'objectif décrétal qui vise à réduire de moitié le taux de décrochage scolaire d'ici 2030. La crise sanitaire renforce encore ce décrochage.

Je répète donc qu'une accélération du chantier n° 13 du Pacte relatif au décrochage scolaire est nécessaire. Je constate que c'est bien votre intention, puisque vous allez rencontrer la ministre Glatigny pour vous concerter sur le sujet.

Je vous en remercie et je ne manquerai pas de suivre ce chantier avec attention.