Question sur le plan de lutte contre le harcèlement scolaire

26/10/2021

Question orale de Mme Stéphanie Cortisse, sur les dérives de la série «Squid Game» et des réseaux sociaux dans la cour de récréation

Mme Stéphanie Cortisse (MR). - Depuis quelques semaines, plusieurs écoles alertent les parents et les autorités dans les médias et sur les réseaux sociaux quant aux dérives de la série «Squid Game» dans les cours de récréation de nos écoles. Cette crainte est également ressentie en France. 

J'estime qu'il faut tout d'abord rappeler que cela relève avant tout de la responsabilité des parents dans l'éducation de leurs enfants: ils doivent veiller à ce qu'ils ne regardent pas ce genre de série, pourtant interdite aux moins de seize ans. Toutefois, cela devient compliqué avec les réseaux sociaux comme TikTok qui en diffusent des extraits. 

Ensuite, cela fait longtemps que mon groupe estime qu'au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du domaine de l'enseignement, la lutte contre le harcèlement, le cyber-harcèlement et les violences scolaires doit passer par un plan structurel pour toutes les écoles, et ne doit pas être laissée au bon vouloir de certaines écoles volontaristes, par le biais d'appels à projets. 

Madame la Ministre, vous êtes justement en train d'élaborer un plan de prévention contre le harcèlement en milieu scolaire, avec l'objectif d'une entrée en vigueur en 2022. Vous nous avez déjà présenté les grandes orientations de ce plan lors d'une précédente réunion de commission. 

J'estime qu'une attention particulière doit être portée au développement des nouvelles formes de violences liées aux réseaux sociaux et aux séries télévisées. J'espère que cette notion figure dans votre plan de prévention. En effet, cela pose la question du champ de la violence scolaire, qui doit désormais s'entendre en dehors du cadre strict de l'enceinte scolaire. 

Le plan d'action doit bien entendu comprendre la prévention, dont l'éducation aux médias dès le plus jeune âge, la création d'espaces de parole dans le temps scolaire ainsi que la formation adéquate de tous les enseignants et éducateurs, mais aussi de tous les accueillants extrascolaires. 

Toutefois, ce projet de plan n'aborde a priori jusqu'à présent que la prévention, mais pas encore la sanction. 

Trop souvent, c'est le «tout ou rien», à savoir l'absence de sanction ou l'exclusion de l'élève qui répétera alors ce type de comportement dans sa nouvelle école. À mon sens, il faut sanctionner à temps et utilement, en développant un panel de sanctions à assortir d'une dimension pédagogique, réparatrice et responsabilisante. Il faut développer des contrats entre l'école, les parents et le jeune qui dérape, en responsabilisant ainsi toutes les parties dans la résolution du problème. Toute école devrait être obligée d'intégrer des contrats dans son règlement d'ordre intérieur, avec un contrôle du respect de l'obligation. 

Pour étayer mes propos, je reprends les déclarations de M. Bruno Humbeeck, psychopédagogue, dans deux articles de presse. Dans le premier, datant du 7 octobre 2021, il estime que les écoles doivent être un endroit où on peut faire société. Il explique: «Vous n'avez pas le droit d'agresser, de frapper, ni de menacer qui que ce soit. Il faut qu'il y ait des sanctions qui puissent être diffusées par l'école, qui doit servir de courroie de transmission aux lois qui existent dans la société. Ces comportements sont interdits dans la société adulte, et donc les enfants doivent le percevoir de la même façon». Dans un autre article de presse paru le 8 octobre 2021, M. Humbeeck encourage les écoles à faire preuve de fermeté face aux comportements violents des élèves. Il ajoute: «Les groupes d'enfants, ce ne sont pas des groupes de Bisounours. Les adultes doivent absolument sanctionner les comportements déviants. Dans des cas comme ça, l'empathie ne suffit pas. Les écoles doivent relayer les lois et rappeler que non, on ne peut pas frapper ni menacer de frapper une personne». 

En réponse à une question de mon collègue Olivier Maroy lors de la séance plénière du 13 octobre dernier, vous avez précisé que «la première et la meilleure réponse à apporter à une telle situation est de poser des limites strictes et de rappeler les règles de non-violence et de respect qui sont les conditions sine qua non du vivre-ensemble» et que, «bien entendu, le corollaire de cette réponse est l'application immédiate de sanctions adéquates». 

Madame la Ministre, prévoyez-vous d'ajouter, à côté du volet relatif à la prévention, une dimension «sanction» dans le plan de lutte contre le harcèlement, en cours de préparation au sein de votre gouvernement? Comment comptez-vous rendre ce plan de lutte contre le harcèlement et les violences scolaires contraignant pour toutes les écoles? Comment s'assurer qu'elles rempliront leurs obligations en la matière? 

Par ailleurs, je profite de la présente question pour refaire le point sur le rôle de l'Observatoire de la violence et du décrochage en milieu scolaire qui a été institué au sein de la Direction générale de l'enseignement obligatoire (DGEO) par le décret du 21 novembre 2013 organisant divers dispositifs scolaires favorisant le bien-être des jeunes à l'école, l'accrochage scolaire, la prévention de la violence à l'école et l'accompagnement des démarches d'orientation scolaire. 

Ce décret lui confie pas moins de neuf missions, dont celles d'analyser, quantitativement et qualitativement, les données sur la violence dont disposent les différents services du gouvernement; de formuler des recommandations à l'attention de la DGEO et de vous-même; d'étudier les phénomènes de violence en concertation avec l'Observatoire de l'enfance, de la jeunesse et de l'aide à la jeunesse (OEJAJ), notamment au travers d'une enquête de victimisation; de communiquer au Service général du pilotage du système éducatif (SGPSE) les données nécessaires à l'élaboration d'indicateurs de violence en milieu scolaire; de formuler, à l'attention de la Commission de pilotage (Copi), pour le 15 septembre de chaque année, des recommandations pour la définition annuelle des orientations et des thèmes prioritaires des formations; de procéder à un recensement régulier des études et des recherches scientifiques sur le phénomène de violence en milieu scolaire; de promouvoir et faire connaître auprès des travailleurs de l'enseignement des initiatives dont l'objet est la prévention et la gestion des violences en milieu scolaire; ou encore de rédiger tous les trois ans un rapport d'évaluation des dispositifs de ce décret à transmettre au gouvernement et à la Copi. 

L'Observatoire de la violence et du décrochage en milieu scolaire existe-t-il bel et bien? Pourriez-vous faire le point sur la mise en œuvre de l'ensemble des missions qui lui sont dévolues? L'Observatoire du climat scolaire que vous envisagez de créer dans votre nouveau plan de lutte contre le harcèlement scolaire ne fera-t-il pas double emploi avec l'observatoire précité? 

Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation.- Comme vous l'avez rappelé, Madame la Députée, j'ai déjà pu exposer, en réponse à la question d'actualité de M. Maroy, l'importance d'un cadre qui détermine les limites et rappelle les règles de non-violence et de respect. Celles-ci sont, de manière générale, les conditions sine qua non du vivre-ensemble, à plus forte raison au sein d'une école. 

En ce sens, le futur plan en matière de climat scolaire, de prévention et de lutte contre le harcèlement se veut être une approche holistique dans laquelle la justice scolaire s'intègre comme un facteur en interdépendance avec d'autres, qui influent sur la motivation, l'implication des élèves et les dynamiques relationnelles. 

La justice scolaire renvoie aux différentes considérations portant sur la construction collective du règlement d'ordre intérieur, ainsi que sur l'explicitation des règles, des normes et finalement des valeurs qui fondent la vie d'un établissement. Il s'agit donc d'assurer une compréhension du sens des normes et règles applicables au sein de l'école et, par conséquent, des sanctions qui découlent du non-respect de celles-ci. Ce sont là les conditions minimales pour permettre aux élèves d'évoluer dans un environnement positif, inclusif et juste. 

Nous n'avons pas choisi à proprement parler de contraindre les écoles à rentrer dans le plan de lutte contre le harcèlement. Selon les statistiques du pilotage, la problématique du harcèlement est un souci largement répandu: les écoles ont très majoritairement fait le choix, dans le cadre de leur plan de pilotage, de travailler à l'amélioration du climat scolaire. Il s'agit donc plutôt de passer d'une logique d'initiative reposant entièrement sur les écoles les plus volontaristes - comme cela s'est fait jusqu'à présent au travers des appels à projets - à une logique structurelle, qui s'appuie sur les contenus des plans de pilotage et contrats d'objectifs, et emploient comme levier efficient les outils qui, eux, sont bien imposés aux écoles. En effet, au bout du compte, nous cherchons la participation de l'ensemble des membres d'une communauté scolaire, et cela ne s'obtient pas par la contrainte. Il vaut mieux toucher davantage d'écoles plus vite et avec un cadre commun établi.

Les écoles pourront donc bénéficier d'un programme-cadre identique et généralisable, comprenant des principes généraux et des actions obligatoires minimales à réaliser. Elles pourront le compléter et l'agrémenter d'actions qu'elles détermineront d'elles-mêmes avec leur communauté scolaire, en fonction de leurs réalités propres qui peuvent évidemment diverger. 

Pour ce qui est de l'Observatoire du climat scolaire qui viendra compléter les actions du plan, il doit en effet faire évoluer un dispositif qui n'a jusqu'ici pas su montrer beaucoup de résultats. Cette nouvelle orientation permettrait de répondre aux besoins liés à la prévention et au traitement du harcèlement scolaire, et d'établir des liens avec les sept facteurs intrinsèques du climat scolaire, le décrochage, la démocratie scolaire, le bien-être, etc. Il s'agit donc, après nos nombreux échanges avec les différents experts que vous avez cités, d'utiliser ce qui fonctionne et de faire interagir différents chantiers étroitement et intrinsèquement liés. 

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Madame la Ministre, vous me dites que l'Observatoire de la violence et du décrochage en milieu scolaire, créé par le décret du 21 novembre 2013, est resté lettre morte. Sauf erreur, ce dernier prévoyait d'engager au moins trois personnes, qui ne l'auraient donc pas été ou auraient été affectées à d'autres tâches. J'y reviendrai, car cela me préoccupe beaucoup. 

En ce qui concerne le volet «sanction», vous précisez qu'il s'agit d'une approche holistique et évoquez la justice scolaire. Le futur plan devrait clarifier les volets relatifs à la prévention et à la sanction. 

Certes, cela relève avant tout de la responsabilité parentale, mais, comme je le constate lors de mes rencontres avec les acteurs de terrain, l'école a malheureusement un rôle de plus en plus important à jouer dans l'éducation des enfants pour les nombreux parents défaillants. Vous êtes ministre de l'Éducation et non de l'enseignement obligatoire, comme certains de vos prédécesseurs. Cela veut tout dire. On en demande de plus en plus aux écoles. Mais pour cela, il faut à la fois outiller les équipes pédagogiques au moyen de formations et leur permettre de répondre sans délai à des comportements violents par le biais de sanctions adéquates et efficaces. 

La prévention n'est pas, ou plus, suffisante et l'école doit faire preuve de bienveillance, mais aussi de fermeté quand c'est nécessaire. 

Je ne manquerai pas de suivre ce dossier avec attention.