Question sur l'enseignement en immersion linguistique

05/01/2021

Question orale de Mme Stéphanie Cortisse à Mme Caroline Désir, ministre de l'Éducation, à propos du bilan du décret du 11 mai 2007 relatif à l'enseignement en immersion linguistique.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- La Déclaration de politique communautaire (DPC) prévoit de renforcer quantitativement et qualitativement l'apprentissage des langues, notamment en favorisant et développant l'enseignement en immersion.

Madame Maison (Députée « Défi »), vous avez évoqué une autre mesure prévue par la DPC : le renforcement de l'échange de professeurs de langues entre Communautés. J'avais déjà interrogé le Ministre-Président à ce sujet et j'y suis revenue hier en Commission. J'y ai appris des éléments importants qui me confortent dans l'idée que le Gouvernement est déterminé à avancer sur certaines mesures de la DPC. J'ai notamment été informée de la création d'un groupe de travail, prévue il y a un an, mais retardée en raison de la crise sanitaire. Une première réunion de travail devrait avoir lieu au début du mois de janvier avec votre cabinet, Madame la Ministre, et celui du Ministre-Président, ainsi qu'avec des personnes compétentes au sein du ministère. Ce groupe de travail sera élargi aux autres Communautés par la suite. J'y ai également entendu que le 10 décembre dernier, votre Gouvernement avait adopté un plan d'action avec la Communauté germanophone : la question des native speakers y était abordée. En revanche, je ne sais pas ce qu'il en est de la Communauté flamande. Peut-être pourrez-vous m'apporter des précisions à ce sujet ?

J'en viens à ma question sur l'enseignement en immersion qui est régi, d'une part, par le Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire et, d'autre part, par le décret du 11 mai 2007 relatif à l'enseignement en immersion linguistique (décret «Immersion»).

Dans le cadre des précédents travaux de cette Commission, vous aviez abordé les grandes lignes du cadre juridique de cet enseignement en immersion linguistique. Durant la troisième année de l'enseignement maternel, dans l'enseignement primaire et durant les trois premières années de l'enseignement secondaire, la langue moderne dans laquelle peut être pratiqué l'apprentissage en immersion est la langue moderne 1. Il s'agit du néerlandais à Bruxelles et de l'allemand, de l'anglais ou du néerlandais en région de langue française, à l'exception, pour l'enseignement fondamental, des communes dotées d'un régime spécial. Une école ne peut organiser d'enseignement en immersion que dans deux langues, à l'exception d'écoles autorisées par le Gouvernement à organiser cet enseignement dans trois langues dans le cadre d'un projet expérimental. Un même élève ne peut suivre les cours en immersion que dans une seule langue. À partir de la quatrième année secondaire, il est possible de changer cette langue et l'élève peut entamer l'apprentissage en immersion de la langue moderne 2. Enfin, les grilles horaires prévoient des nombres maxima de périodes en langue, qui diffèrent selon que l'élève est scolarisé dans l'enseignement fondamental ou secondaire.

Madame la Ministre, combien d'écoles réalisent-elles l'enseignement en immersion en Wallonie et à Bruxelles? Pourriez-vous dresser un état des lieux par régions, par réseaux, par niveaux d'enseignement, par langues et par types d'immersion, totale ou partielle? Combien d'élèves sont-ils concernés au total? Quels sont les outils à votre disposition pour évaluer la qualité et le niveau des apprentissages en langues, mais aussi dans les autres disciplines, dans le cadre du dispositif de l'immersion? Quelles pistes sont-elles concrètement envisagées afin d'augmenter l'offre d'enseignement en immersion, comme le prévoit la DPC?

De manière générale, quel bilan tirez-vous du décret «Immersion»? Une évaluation formelle de ce décret fait-elle partie des plans du gouvernement? Si oui, disposez-vous d'un calendrier pour le lancement et surtout la conclusion de cette évaluation?

Un projet expérimental permettant à une école d'organiser un enseignement en immersion dans trois langues différentes existe-t-il? Si oui, a-t-il rendu ses premières conclusions? Combien d'écoles sont-elles concernées par ce projet? Envisagez-vous d'étendre à trois le nombre maximal de langues dans lesquelles un établissement scolaire peut organiser son enseignement en immersion?

Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation.- Concernant les objectifs extrêmement ambitieux poursuivis par Laurette Onkelinx d'élèves bilingues en 2001, il est évident qu'ils ne sont pas atteints. Pour autant, je n'affirmerai pas que rien n'a été fait en la matière. Certaines tentatives ont échoué: différents ministres se sont cassé les dents sur une coopération, notamment avec leurs homologues néerlandophones. Ce n'est pas chose aisée! Les obstacles à franchir sont nombreux.

Toujours est-il qu'il existe également des expériences positives! L'immersion linguistique en fait partie. La Communauté française a été pionnière en la matière. Tout n'est pas à jeter. Madame Maison, il est évident que je partage votre volonté et votre ambition d'aller plus loin; en effet, les résultats actuels ne sont pas satisfaisants. L'apprentissage des langues recouvre un vaste de champ. L'immersion est bel et bien une méthode pédagogique qui vise à maîtriser des compétences et à acquérir progressivement la langue de l'immersion. Les écoles et équipes pédagogiques demeurent libres d'y recourir ou pas. Ce n'est pas parce que l'école ne pratique pas l'immersion que l'élève ne peut pas faire de progrès dans la langue apprise à l'école.

Un cadre décrétal, en l'occurrence le décret «Immersion», a permis de mettre sur pied un organe d'observation et d'accompagnement de l'apprentissage par immersion. Le dispositif permet à cet organe de formuler des recommandations et impose également au SGI de réaliser des rapports généraux tous les trois ans afin d'évaluer le niveau d'apprentissage en langues, mais également dans d'autres disciplines. À cet égard, le dernier rapport date de la fin de l'année 2019. Il concernait 55 établissements de l'enseignement secondaire sur 126 organisant l'immersion au cours des trois années précédentes. Ce rapport pointait plusieurs difficultés dont je retiendrai surtout le recrutement, d'une part, et l'accompagnement des enseignants au sein des équipes pédagogiques, d'autre part, notamment pour élaborer des liens avec les autres aspects des programmes et des référentiels. Si le SGI a souligné le caractère très volontariste et motivé des enseignants en immersion, il n'en demeure pas moins que l'organisation d'une filière immersive doit être pensée au sein de l'équipe pédagogique -ce qui n'est pas toujours évident.

En raison de l'arrivée des référentiels du tronc commun et de la réforme de la gouvernance des établissements scolaires, l'enseignement en immersion devra s'adapter à des nouveaux prescrits.

Concernant les données chiffrées, je vous renvoie au document que je vous remets (La ministre remet un document à la députée).

Je souligne également qu'il n'y a pas encore eu de retour à propos du projet expérimental pour une offre en immersion dans trois langues. Ma prédécesseure a inscrit dans le dispositif que la Commission de pilotage doit disposer de ce retour pour le 31 mai 2025 au plus tard.

Le renforcement de l'enseignement en immersion, dans la mesure où il est proposé par les établissements, devrait donc surtout s'appuyer sur une base structurelle au sein de ces établissements, une coordination et un accompagnement renforcés, une connaissance des prescrits des programmes et des référentiels. C'est à ce titre que l'immersion et toute la réforme du tronc commun pourront se soutenir mutuellement.

D'une manière générale, je partage l'idée que l'enseignement des langues modernes doit être dynamique et qu'il se conçoit mal s'il est donné ex cathedra. Cela demande une vision structurelle qui touche à la fois à l'encadrement, aux ressources pédagogiques et à l'équipement.

Il me semble toutefois que les bases posées par l'éveil aux langues sont particulièrement intéressantes et pertinentes. Le document d'éveil aux langues a accompagné le référentiel des compétences initiales. S'il ne constitue pas en soi un prescrit décrétal, il n'en demeure pas moins un matériau particulièrement important proposant des pistes pour les élèves de la première maternelle à la deuxième primaire. Ces pistes font la part belle à l'oralité, à tout ce qui renvoie au bain acoustique et à la recherche d'effets favorables dans le développement de représentations et attitudes positives envers la diversité linguistique et culturelle, ainsi que le développement d'aptitudes d'ordre métalinguistique et métacommunicatif. C'est un rapport à la langue qui est largement commenté dans la littérature scientifique et qui pourrait changer la donne tant on constate que l'apprentissage d'une autre langue comporte des obstacles d'ordre culturel. Il s'agit d'un outil idéal pour les premières années de la scolarisation, mais difficilement transposable stricto sensu pour les années ultérieures, même si la logique de l'oralité et d'un rapport plus global à la langue peut aussi utilement s'y décliner.

Quant au projet de création d'écoles multilingues, la crise sanitaire a malheureusement accaparé pas mal de notre temps ces derniers mois. Dans ces conditions, il n'a pas été possible d'avancer de manière significative. Mais j'ai eu plusieurs rencontres, avec Sven Gatz, avec les autorités de l'Université libre de Bruxelles (ULB) et de la Vrije Universiteit Brussel (VUB), ainsi qu'avec les membres de plusieurs écoles, notamment à Frasnes-lez-Anvaing. Plusieurs initiatives avaient été lancées avant la crise sanitaire. Plusieurs études juridiques ont été mises en place afin de mettre en lumière les freins potentiels ainsi que des pistes de solutions. Le travail se poursuivra donc dans le courant de cette nouvelle année. Ce sera une priorité!

Concernant la pénurie d'enseignants, je ne rappellerai pas toutes les mesures adoptées. Je vous renvoie donc à mes précédentes interventions. Toujours est-il qu'un chantier du Pacte pour un enseignement d'excellence est consacré aux enseignants et un projet spécifique à la lutte contre la pénurie des enseignants y est inscrit. Mon administration est chargée de réfléchir à de nouvelles pistes en matière d'attractivité du métier en attirant particulièrement l'attention sur le nombre important de professeurs de langue nécessaires à l'horizon 2023, moment où les élèves de troisième primaire entreront dans le tronc commun. Le besoin de professeurs de langue sera vraiment important puisque, d'un coup, les écoles wallonnes proposeront des cours de langue. À ce stade, une des réflexions en cours porte sur la manière d'attirer des personnes en reconversion désireuses de commencer une carrière dans l'enseignement. Cela pourrait par exemple passer par l'instauration de formations accélérées ou encore par la valorisation d'une partie de l'expérience antérieure acquise en dehors de l'enseignement. La faisabilité de ces solutions est encore au stade de l'analyse. Il faut préserver un équilibre: avoir des enseignants face à leur classe au démarrage de ces cours et veiller aux titres pédagogiques, etc. Une autre piste à l'étude pourrait être l'assimilation de certaines formations de langue, données par des opérateurs privés, à un titre requis ou suffisant. Mais il faut se montrer prudent. Le SGI devra être chargé d'une analyse approfondie des acquis d'apprentissage mis en œuvre par ces opérateurs.

Enfin, le gouvernement a récemment approuvé le programme de travail entre la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Communauté germanophone. Celui-ci prévoit notamment que les deux Communautés ambitionnent de favoriser l'échange d'enseignants dits native speakers. En effet, l'apprentissage d'une langue par un professeur enseignant dans sa langue maternelle est une plus-value pour l'élève qui ne doit plus être démontrée. Ainsi, les deux Communautés s'engagent à identifier les freins à cet échange d'enseignants et, le cas échéant, à adapter les textes légaux et administratifs. Les services compétents assureront la promotion de cette nouvelle possibilité qui s'offrira au personnel enseignant. Dans la mesure du possible, ce dispositif sera également appliqué avec la Flandre, mais aucune réunion n'a encore eu lieu à ce sujet. Un groupe de travail piloté par le cabinet du Ministre-Président a été mis en place concernant le partenariat avec la Communauté germanophone. Les travaux commencent d'ailleurs dès cette semaine.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- À mon sens, le soutien et le développement des écoles qui pratiquent l'immersion linguistique sont essentiels pour améliorer la qualité de notre enseignement en termes d'apprentissage des langues étrangères. D'autres mesures sont également importantes : l'éveil aux langues, les nouveaux référentiels du tronc commun qui imposeront l'apprentissage d'une première langue moderne dès la troisième année d'enseignement primaire ou encore, le renforcement d'échanges de professeurs native speakers entre les Communautés.

Effectivement, vu le nombre de questions posées, je n'ai pas bien perçu ce que votre Gouvernement entend dans la DPC par «favoriser et développer l'enseignement en immersion». Concrètement, je n'ai pas bien compris les pistes qui étaient envisagées. Je ne manquerai pas de revenir sur ce sujet précis.