Question sur l'évaluation des enseignants

23/05/2023

Question orale de Mme Stéphanie Cortisse, Députée (MR), à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, à propos de l'évaluation des enseignants

Mme Stéphanie Cortisse (MR). – Madame la Ministre, à l'ordre du jour du gouvernement de ce 28 avril 2023 figurait l'adoption en seconde lecture d'un projet de décret relatif au soutien, au développement des compétences professionnelles et à l'évaluation des personnels de l'enseignement.

Si cette réforme fait couler beaucoup d'encre, je rappelle qu'elle était expressément prévue, dans ses deux volets, par l'avis n°3 du Groupe central du Pacte pour un enseignement d'excellence, qui a été rédigé en 2017 et qui, je le rappelle, est un grand équilibre qui a été négocié par tous les acteurs de l'enseignement, en ce compris par les organisations syndicales.

Pourriez-vous nous présenter les grandes lignes de ce projet de décret en ses deux volets tels que modifiés à la suite des concertations qui ont eu lieu jusqu'à la deuxième lecture? Pourriez-vous refaire le point sur les balises fixées de nature à rassurer le personnel enseignant? Quand les deux volets entreront-ils en vigueur? Bien qu'il ne s'agisse que de l'adoption en seconde lecture du projet de décret, une communication est-elle déjà prévue à l'attention des membres du personnel de l'enseignement? Cela me paraît essentiel pour démystifier cette réforme, tant des informations erronées ont été véhiculées sur le terrain. Enfin, un volet relatif à l'évaluation des enseignants figurera-t-il bien sur le nouveau site internet dédié au Pacte?

Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation. – Le projet de décret relatif au soutien, au développement des compétences professionnelles et à l'évaluation des personnels de l'enseignement a été adopté en deuxième lecture par le gouvernement le 28 avril 2023. Ce texte est actuellement soumis à l'avis de la section chargée de la législation du Conseil d'État.

À la suite des négociations réglementaires, plusieurs modifications lui ont été apportées, en vue de rencontrer au plus près les demandes des personnes concernées, et principalement celles concernant la protection des droits des membres du personnel tout en conservant les balises essentielles du dispositif dans son ensemble, telles qu'elles avaient été fixées par l'avis n°3 du Groupe central.

Il me semble donc utile de vous présenter l'ensemble du dispositif tel qu'il a été approuvé par le gouvernement, tant ce texte a fait et fait encore l'objet d'interprétations diverses et parfois erronées.

Le projet de décret est composé d'un mécanisme de soutien et de développement des compétences professionnelles, ainsi que d'un mécanisme d'évaluation des membres du personnel. Ces deux mécanismes distincts peuvent s'articuler le cas échéant.

Le point de départ du processus consiste en un entretien de développement professionnel avec le directeur ou son délégué. Il s'agit d'un dialogue ouvert au cours duquel les membres du personnel peuvent faire le point sur leur pratique, échanger sur leurs éventuelles difficultés, ou encore réaliser le bilan du travail accompli dans la perspective du développement de leurs compétences professionnelles. Cet entretien va se clôturer par un retour d'information au membre du personnel; il peut aussi, dans certaines situations, mener à la mise en place d'un PDCP.

À l'issue de l'entretien de développement professionnel, ce PDCP peut être mis en œuvre par le directeur soit à la demande d'un membre du personnel, soit à l'initiative de la direction, ou encore systématiquement pour les membres du personnel durant leur première année d'exercice du métier. Le PDCP est un document au sein duquel seront formalisés tout au plus quatre objectifs individualisés, spécifiques, réalistes et adaptés au membre du personnel, qui sont fixés conjointement entre ce dernier et sa direction. En outre, des moyens sont mis à la disposition du membre du personnel pour l'aider à atteindre ces objectifs; par exemple, la possibilité de suivre une formation.

Un entretien de clôture devra également avoir lieu au plus tôt six mois après la mise en place du PDCP, et au plus tard deux ans après. Cela signifie que le membre du personnel dispose d'au moins six mois pour mettre en application son PDCP.

Deux issues sont possibles: un retour d'information positif, ou bien un rapport motivé du directeur au PO, et, le cas échéant, le démarrage du mécanisme d'évaluation.

Une possibilité de délégation existe, notamment à un directeur adjoint ou à un enseignant expérimenté. Le rôle de ces délégués consiste à mener des entretiens de développement professionnel ou à soutenir et à accompagner des enseignants dans le cadre de la mise en place d'un PDCP, sans qu'ils n'aient aucun pouvoir de décision, qui ne relève que de la direction. Un délégué ne pourra donc jamais imposer un objectif, une action ou une pratique à un membre du personnel: son rôle se limite à l'appui et à l'inscription dans un dialogue dont le pilotage est pris en charge par la direction. J'insiste: il n'y a pas d'évaluation par les pairs.

Le second volet de l'évaluation peut être démarré par le PO si le rapport du directeur mettait en évidence que le membre du personnel, dans l'exécution de son PDCP, avait fait preuve de mauvaise volonté manifeste ou de carence manifeste et répétée.

Afin de garantir la défense de ses droits, le membre du personnel doit être entendu par le PO. Si tel est le cas, il peut être assisté par un collègue ou par un représentant syndical. Au terme de cette audition, le PO délivre soit une mention favorable, soit une première mention d'évaluation défavorable dûment motivée. Le PO devra faire preuve d'une expertise en matière d'évaluation, soit par la formation d'un de ses représentants par le biais des mêmes modules de formation que ceux qui sont prévus pour les directions, soit en se faisant accompagner par un expert extérieur ou par un membre du PO disposant d'une expertise pédagogique ou en ressources humaines.

À ce stade, le membre du personnel disposera d'un premier droit de recours devant une commission de recours paritaire dont l'avis sera contraignant s'il est voté par une majorité de membres. Si la première évaluation défavorable devait être maintenue, la perte de priorité a été supprimée pour les membres temporaires, mais la perte de l'accès à la nomination a été maintenue. Ainsi, le membre du personnel qui aurait une première évaluation défavorable garde ses possibilités à l'emploi comme n'importe quel collègue, mais il ne peut pas devenir statutaire.

Dans tous les cas, un entretien devra être organisé entre ce membre du personnel et le PO pour élaborer un PAI, dont la durée a été allongée à six mois minimum à la suite des négociations.

À l'issue du PAI, un entretien est à nouveau organisé, au terme duquel le PO délivre soit une évaluation favorable, soit une deuxième mention défavorable et, en alternative à une deuxième mention défavorable, le PO peut, d'un commun accord avec le membre du personnel, décider de prolonger le PAI si certains objectifs n'ont pas encore été atteints, mais qu'un mouvement d'amélioration a été entamé.

Une deuxième mention défavorable entraîne une fin de fonction au sein du PO. Ce dernier devra bien entendu motiver spécifiquement les raisons pour lesquelles la poursuite de la relation de travail n'est pas possible. Ici encore, à ce stade, le membre du personnel disposera d'un droit de recours devant une commission de recours externe paritaire, dont, à nouveau, l'avis sera contraignant s'il est voté par une majorité de membres.

Le gouvernement a également décidé d'adapter le déroulement des premières années d'entrée en vigueur du texte, afin d'en clarifier les contours et d'en fluidifier l'organisation. Ainsi, dès l'entrée en vigueur du dispositif, qui est prévue pour le mois de janvier 2024, et jusqu'en juin 2026, une période transitoire sera instaurée, période durant laquelle une offre de formation sera accessible pour l'ensemble des directions. Pendant cette période transitoire, des PDCP pourront être mis sur pied, même si les directions ne sont pas formées, mais ne pourront en aucun cas conduire à l'activation d'une procédure d'évaluation. L'entrée en vigueur du deuxième volet n'est en outre prévue qu'à partir de la rentrée 2026. Aucune procédure d'évaluation sommative ne pourra donc démarrer avant la fin de la période transitoire. Ces procédures d'évaluation sommative ne pourront démarrer qu'à partir de la rentrée 2026, à condition que le PDCP ait été instauré par un directeur formé et que ce PDCP ait été conclu au plus tôt lors de l'année scolaire 2025-2026.

Enfin, dès l'entrée en vigueur du premier volet du texte, un suivi de sa mise en œuvre sera réalisé et communiqué annuellement au gouvernement, à l'instar du mécanisme existant dans d'autres dispositifs. À partir de la rentrée scolaire 2026-2027, et jusqu'à la rentrée scolaire 2030-2031, le deuxième volet fera également l'objet d'un suivi.

Mesdames et Messieurs les Députés, comme vous pouvez le constater, j'ai souhaité baliser à nouveau l'ensemble du dispositif tel qu'il a été adopté en deuxième lecture. J'ai été un peu longue et je m'en excuse, mais il me semble avoir montré que tout a été fait pour protéger au mieux les intérêts des membres du personnel.

Je n'ai pas reçu une délégation des organisations syndicales le 27 avril 2023, tout simplement parce qu'elles ne m'en ont pas adressé la demande. Je me réjouis que la CSC-Enseignement poursuive les travaux du Pacte pour un enseignement d'excellence. Je suis convaincue que la participation des organisations syndicales à ces travaux, et en particulier au sein du Comité de concertation constitue en effet un levier puissant pour améliorer la qualité des notes d'orientation et des projets de textes légaux en amont même de leur présentation au gouvernement, en tenant compte des points d'intérêt des représentants des membres du personnel. Vous le savez, j'ai pris acte avec regret de la décision des autres syndicats. Depuis leur départ, j'ai réuni le Comité de concertation à deux reprises pour échanger sur la situation et les modalités de poursuite du travail.

C'est en lien avec ces réunions que des assouplissements au calendrier des réformes pour la rentrée prochaine ont été adoptés par le gouvernement. Plusieurs principes méthodologiques nouveaux ont également été fixés pour la poursuite de la collaboration avec le Comité de concertation.

Ce dernier sera ainsi notamment invité à remettre un avis sur le calendrier des réformes à adopter sous la prochaine législature, afin de fournir les éléments de réflexion utiles au négociateur lors de la prochaine Déclaration de politique communautaire (DPC).

Par ailleurs, les fédérations de PO, Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) et les organisations syndicales qui siègent au Comité de concertation pourront être invités à composer des équipes de direction et d'enseignants de terrain afin de les associer aux concertations sur les réformes à adopter, et ce, lors de sessions extraordinaires du Comité de concertation.

Ce dernier sera également sollicité pour donner son avis sur les dispositifs d'évaluation des réformes, y compris les missions d'évaluation du Service général de l'inspection (SGI) portant sur l'instauration d'un dispositif pédagogique ou éducatif au sein du système scolaire. À cette occasion, il conviendra de combiner la nécessité pour le pouvoir régulateur d'obtenir des informations sur la manière dont les dispositifs s'élaborent et sont mis en pratique, tout en tenant compte de la progressivité de ce processus.

Enfin, un suivi régulier, structurel et méthodologiquement cadré des réformes du Pacte sera développé au sein du Comité de concertation, afin de systématiser le suivi et l'analyse de ces réformes avec l'ensemble des acteurs. Une attention particulière sera portée, dans ce cadre, à la soutenabilité des réformes, à leur articulation, à l'adéquation de leurs modalités avec les réalités du terrain ainsi qu'à leur dimension sociale.

Pour le surplus, ma porte reste évidemment grande ouverte et je continuerai, comme je l'ai fait depuis le début de ma prise de mandat, à voir les représentants de l'ensemble des organisations syndicales à l'occasion de nos réunions mensuelles et, bien évidemment, lors des concertations réglementaires ou lors des groupes de travail créés dans le cadre du protocole sectoriel 2021-2024.

Mme Stéphanie Cortisse (MR). – Madame la Ministre, je vous remercie d'avoir fait l'état des lieux de l'ensemble du projet, des mesures qui sont vraiment prévues et de celles qui ne sont pas prévues, afin de démystifier la réforme. Je rappelle que cette réforme était prévue noir sur blanc dans le Pacte pour un enseignement d'excellence.

À la suite de multiples retours et études, nous savons que l'une des sources du malaise des enseignants est le fait d'être isolé au quotidien et de recevoir peu de retours d'information, positifs ou négatifs, sur la façon dont ils exercent leur métier. Un grand nombre de jeunes enseignants quittent la profession au cours des cinq premières années, notamment en raison de l'insuffisance de l'accompagnement. La possibilité de bénéficier d'un PDCP tend à répondre à ces difficultés et représente aussi pour le personnel enseignant l'opportunité d'améliorer ses compétences, d'approfondir ses connaissances et d'améliorer ses pratiques.

Comme vous l'avez rappelé, Madame la Ministre, ce n'est vraiment qu'en dernier recours, dans un contexte où de nombreuses balises sont fixées et des recours possibles, si des manquements répétés et graves sont constatés, qu'une sanction pourrait intervenir. Les syndicats doivent vraiment expliquer cela à leurs affiliés, car des fake news circulent sur le terrain.

Mon groupe soutient donc cette réforme de nature à accompagner l'immense majorité des enseignants qui s'investissent dans leur métier, que ce soit par le dialogue ou la formation en cours de carrière, qui est primordiale.

Je le répète, il est nécessaire de communiquer judicieusement et très rapidement sur le projet de décret. En effet, je ne suis pas sûre que tout le monde lira le compte rendu des débats de notre commission. Dès lors, il faut communiquer le plus rapidement possible avec tous les enseignants pour mettre fin à la désinformation qui règne sur le terrain.

Les directions sont souvent un peu plus au courant du projet et regrettent l'image négative renvoyée par les manifestations et les syndicats sur la réforme. La population, de son côté, ne comprend pas pourquoi les enseignants refusent d'être évalués. Il est nécessaire de revaloriser l'image des enseignants auprès de l'opinion publique, et cela passe par l'adoption de la réforme.

Enfin, si je n'ai pas encore rencontré toutes les directions des écoles de mon arrondissement, je peux néanmoins affirmer qu'aucune de celles que j'ai entendues ne se prononce contre le projet de réforme. Bien au contraire, elles la soutiennent, arguant qu'elle fait partie de leur corps de métier. Elles la jugent pédagogique et sont prêtes à dégager du temps pour effectuer ces évaluations. En parallèle, il faudra veiller à diminuer la charge administrative des directions pour leur donner ce temps.

Enfin, de nombreuses écoles procèdent déjà à des évaluations, qui se passent très bien.