Question sur l'organisation de l'école durant la crise sanitaire

30/04/2020

Question orale de Mme Stéphanie Cortisse à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, sur l'organisation de l'enseignement obligatoire dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- La situation tout à fait exceptionnelle que nous vivons aujourd'hui dans le cadre de la crise sanitaire du Covid‑19 nous oblige à trouver des solutions innovantes, en concertation avec tous les acteurs de l'enseignement, comme vous le faites, pour organiser l'enseignement obligatoire en Fédération Wallonie-Bruxelles qui est fortement perturbé depuis la suspension des cours le 16 mars dernier.

Le mercredi 15 avril, à l'issue de la réunion du Conseil national de sécurité (CNS), notre Première ministre, Mme Sophie Wilmès, a annoncé, en collaboration avec les ministres-présidents des entités fédérées, une prolongation des mesures de confinement au-delà du 19 avril, et donc au-delà des vacances de Pâques.

Madame la Ministre, cela signifie, conformément aux décisions que vous aviez précédemment prises avec votre gouvernement, que les examens et épreuves certificatives sont annulés. Le gouvernement estime, à juste titre, qu'en raison des matières non vues et du manque de pratique, les épreuves externes, déjà élaborées par vos services, risquent de ne pas être adaptées pour la majorité des élèves et qu'il est impossible d'en modifier le contenu, par exemple en retirant certaines questions qui porteraient sur la matière non vue, puisque les apprentissages ne sont pas abordés dans le même ordre dans toutes les écoles.

Vous aviez également précisé que le temps consacré par les élèves à passer ces épreuves pourrait dès lors être mis à profit pour récupérer le temps d'apprentissage perdu, dans le cas où les cours pourraient reprendre avant la fin de l'année scolaire.

Nous savons depuis le dernier CNS qui s'est tenu vendredi 24 avril que la reprise des cours en présentiel dans les écoles ne se fera, moyennant le respect de conditions strictes de sécurité et d'hygiène, que par groupe de dix élèves par classe, uniquement pour certaines années (principalement les années certifiantes et orientantes), et ne sera en toute hypothèse que partielle.

La circulaire que vous avez adoptée dès le lendemain du CNS, et je vous en remercie, précise que la reprise des cours aura lieu à partir du 18 mai, maximum deux jours par semaines pour les élèves de 6e primaire et de dernière année du secondaire (6e ou 7e). Elle sera élargie, après une évaluation de la situation, à partir du 25 mai, à maximum un jour pour les élèves de 1re primaire (et si possible de 2e primaire) et maximum deux jours pour ceux de 2e secondaire.

Vous avez, en outre, souligné que les élèves en difficulté scolaire qui ont besoin d'un suivi spécifique, et ce, peu importe l'année d'étude dans laquelle ils sont, pourront être invités à se rendre à l'école maximum un jour par semaine, et ce, à partir du 25 mai, toujours en fonction de l'évolution de la situation.

Pour ces élèves qui reprendront partiellement les cours à partir des 18 et 25 mai, outre la consolidation des connaissances déjà retravaillées pendant le confinement, de nouveaux apprentissages devront être dispensés en classe, comme vous le prévoyez dans la circulaire. Par contre, d'ici là pour ces élèves, mais aussi jusqu'à la fin de l'année scolaire pour tous les autres élèves qui ne retourneront pas en classe, votre circulaire prévoit le maintien des balises actuelles, à savoir des travaux à domicile, mais uniquement dans le cadre d'une remédiation/consolidation/dépassement, et donc sans nouvelle matière.

Enfin, vous avez décidé que les conseils de classe seront souverains pour déterminer quels élèves seront à même de passer à l'année supérieure. Il y aura des délibérations pour chacun d'entre eux, pour ne pas que leur année soit perdue.

Concernant les épreuves certificatives externes, dont le certificat d'études de base (CEB) à la fin du niveau primaire, le certificat d'études du premier degré de l'enseignement secondaire (CE1D) et le certificat d'enseignement secondaire supérieur (CESS) à la fin du secondaire, les certificats seront délivrés aux élèves même si les examens n'ont pas été passés. Là aussi, c'est le conseil de classe qui sera souverain pour déterminer qui aura droit à ce certificat et donc à passer à l'année supérieure ou aux études supérieures pour les rhétos.

Madame la Ministre, mes questions sont de quatre ordres.

1.   Après une période où seuls la remédiation, la consolidation et le dépassement (RCD) ont pu être prodigués à distance aux élèves, ne pourrait-on pas à présent envisager d'enseigner de nouveaux apprentissages à distance? Depuis le 16 mars, et sans compter les vacances de Pâques, cela fait à présent quatre semaines que les élèves font de la révision de matières déjà vues avant le confinement. En poursuivant ce système pendant encore plus de deux mois (mai et juin), je crains que de nombreux élèves ne soient lassés et ne décrochent. Or l'enjeu actuel est justement de garder un maximum de liens entre les élèves et l'école.

Madame la Ministre, mes nouvelles questions ne figuraient pas dans le texte que je vous ai transmis il y a une semaine et demie. Je comprendrais que vous nous apportiez de nouveaux éléments lors de la prochaine réunion de commission.

Pourquoi ne pas envisager à présent du preteaching, du pré-enseignement à distance, comme le fait la Flandre depuis le 20 avril dernier? Cela devrait évidemment se faire en respectant des balises strictes telles qu'elles ont été prévues en Flandre. Par exemple, la nouvelle matière apprise à distance ne pourrait occuper qu'un nombre d'heures déterminé par jour, avec une garantie de limitation du soutien parental, s'il est nécessaire, à deux heures/semaine par exemple, pour ne pas accentuer la pression sur des parents déjà fortement mis à l'épreuve. Ces matières ne pourraient pas être évaluées sans avoir d'abord été confirmées en classe. Pour ceux qui ne retourneront pas en classe avant la fin juin, cette matière pré-enseignée devra être revue à la rentrée scolaire de septembre.

J'aimerais aussi porter à votre attention une méthode qui m'avait été exposée par un professeur peu avant la période de confinement. Vous la connaissez certainement et elle prend tout son sens à l'heure actuelle. C'est la méthode de la pédagogie inversée (reverse teaching method). Cette technique provient des États-Unis et a déjà fait ses preuves dans plusieurs pays européens et dans certaines écoles de notre Fédération, mais elle reste en temps normal trop rarement utilisée chez nous. Il s'agit, dans un premier temps, d'un apprentissage théorique de la nouvelle matière à domicile, chacun à son rythme, notamment au moyen de capsules vidéo dynamiques réalisées par les professeurs, que chacun peut revoir autant de fois qu'il le souhaite et dans les meilleures conditions. Étant à domicile, l'élève peut le faire au moment qui lui convient. Ensuite, dans un second temps, l'élève met ces matières en pratique en classe. C'est vraiment une école de pédagogie inversée. Madame la Ministre, que pensez-vous de cette méthode qui pourrait très bien rentrer dans le cadre de ce preteaching réalisé aujourd'hui en Flandre?

2.  Comment comptez-vous rattraper le retard accumulé lors de cette année scolaire? Avez-vous déjà préparé des plans d'action pour la prochaine rentrée de septembre? Pourriez-vous nous les présenter? Envisagez-vous des écoles d'été pour des remises à niveau sur une base volontaire, comme le propose la Flandre?

3.  Parmi les élèves en difficulté pendant l'année scolaire, il semblerait que certains misaient sur les examens de fin d'année pour se rattraper. Les cours se sont en effet arrêtés au mois de mars, c'est-à-dire tôt dans l'année scolaire. Selon leurs professeurs, ces élèves seraient malgré tout en position d'acquérir les savoirs et savoir-faire nécessaires pour accéder à l'année supérieure ou obtenir leur diplôme. Compte tenu de l'annulation des examens et des épreuves certificatives, quelles balises votre gouvernement envisage-t-il pour permettre aux conseils de classe, qui devront délibérer, de déterminer si ces élèves dont les résultats étaient insuffisants avant la période de confinement peuvent passer à l'année supérieure sans être pénalisés par la situation actuelle? Des mécanismes de rattrapage sont-ils prévus, en particulier pour les élèves qui ne reprendront pas les cours en présentiel cette année?

4.  Sur la base des délibérations des conseils de classe, ne craignez-vous pas l'introduction de nombreux recours en cas de redoublement? Me confirmez-vous d'ailleurs que les deux voies de recours, interne et externe, restent possibles? Quelles mesures le gouvernement prévoit-il pour traiter un nombre de recours qui pourrait être plus important que d'habitude et pour adapter ces procédures de recours à la situation exceptionnelle que nous vivons? La circulaire que vous avez adoptée ce 25 avril est très précise, mais pas sur ce point, ce que je comprends. Elle indique que les délais et les critères d'appréciation des recours seront modulés. Madame la Ministre, pouvez-vous me dire de quelle manière?

Mme Caroline Désir, ministre de l'Éducation.- Il est indéniable que la fin de cette année ne ressemblera à aucune autre fin d'année scolaire. Nous nous trouvons dans une situation à la fois inédite et imprévisible. Il est très difficile, même pour nous, de prévoir avec certitude quelle sera l'évolution de la pandémie que nous connaissons, non seulement pour cette fin d'année, mais aussi, comme vous l'avez dit, pour la rentrée prochaine.

Néanmoins, dès le 7 avril dernier, la Fédération Wallonie-Bruxelles s'est munie d'une stratégie pour organiser la fin de l'année et, comme vous le mentionnez, le gouvernement a décidé d'annuler les épreuves externes certificatives. En effet, en raison des matières non vues, déjà à ce stade-là, et du manque de pratique, les épreuves externes communes certificatives, telles qu'elles avaient été conçues, risquaient de ne plus être adaptées au niveau de la majorité des élèves. Il apparaissait en outre impossible d'en modifier le contenu, sachant que les matières ne sont pas abordées dans le même ordre ou selon le même rythme par les équipes éducatives d'une école à l'autre. Par ailleurs, il nous est apparu plus judicieux de récupérer le temps habituellement consacré à ces épreuves et aux examens pour rattraper les apprentissages perdus pendant la durée du confinement.

Comme vous le savez désormais, le retour à l'école à partir du 18 mai des années certificatives et orientantes a été défini comme prioritaire. Les activités pédagogiques pourront ainsi se poursuivre le plus tard possible, au plus tard jusqu'au 26 juin. L'organisation des jurys et des conseils de classe se déroulera jusqu'au 30 juin 2020. Je fais ici une parenthèse : effectivement, Madame Schyns, c'est une philosophie. L'idée était vraiment de tirer le plus loin possible les apprentissages. Mais cela pose, pour la tenue de certains conseils de classe, une série de problèmes pratiques que nous sommes en train d'examiner. On peut même imaginer que certaines délibérations puissent être un peu anticipées -en tout cas pour les dernières années. Nous sommes en train de travailler là-dessus, car cela engendre des délais, notamment au niveau des recours. Or, on doit être très précis sur ce point. D'autres informations vont encore arriver.

Si des évaluations sommatives sont prévues, elles ne pourront pas être concentrées sous la forme d'une session d'examen de fin d'année et elles ne pourront porter que sur des matières qui ont été enseignées en classe. Par ailleurs, au vu de l'impossibilité de reprendre les leçons à temps plein pour tous les élèves, il sera dans certains cas impossible d'ici la fin de l'année de procéder à des évaluations sommatives permettant de compléter l'appréciation du niveau des élèves et de déterminer si les conditions de réussite sont remplies dans le respect d'un principe d'équité et sans préjudicier le parcours des élèves.

Pour apprécier la réussite ou non d'une année, des balises ont donc été transmises par voie de circulaire. Je vais vous les citer. Les équipes pédagogiques sont celles qui connaissent le mieux leurs étudiants et sont les plus à même d'estimer les conditions de la réussite. Ce sont donc le jury ou le conseil de classe qui décideront de la réussite ou de l'échec de l'élève ainsi que de l'octroi du certificat éventuel. Au vu des circonstances, le redoublement doit être exceptionnel. Les risques de recours justifient également cette nécessité, j'y reviendrai. La décision devra être prise en dialogue avec les parents. En cas de réussite, cette décision s'accompagnera de mesures précises pouvant comprendre des travaux d'été ou de la remédiation obligatoire à la rentrée prochaine. En cas d'échec ou d'attestation d'orientation restrictive, la décision devra faire l'objet d'une motivation extrêmement détaillée expliquant en quoi il est impossible de permettre le passage de classe ou la certification, ou encore pourquoi l'orientation de l'élève doit être limitée à certaines filières.

C'est là que j'insiste sur la question des recours. Comme nous nous trouvons dans une situation totalement exceptionnelle, la réussite ou l'échec de certains élèves ne pourra parfois être apprécié que sur base des données qui étaient connues le 13 mars. Nous devons prendre le moins de risques possible, car nous allons ouvrir la porte à de nombreux recours que nous ne serons pas sûrs de gagner. Nous essaierons donc d'être bienveillants et de donner la meilleure chance possible à chacun. Je travaille avec mon administration sur le cadre juridique qui permettra de mettre en œuvre ces modalités et, notamment, l'adaptation des procédures et critères de recours. Nous devrons certainement recourir aux pouvoirs spéciaux pour adapter certains aspects de notre législation. Nous aurons bientôt l'occasion d'en débattre plus en profondeur au Parlement.

Nous travaillons également sur les situations spécifiques, comme celles des élèves suivant l'enseignement à domicile ou fréquentant les écoles privées. Nous recevons énormément de demandes concernant l'enseignement à distance et les jurys. Nous travaillons avec l'inspection à la préparation des épreuves, mais cela nécessite encore un peu de temps.

Concernant plus particulièrement les évaluations et les certifications, une circulaire spécifique plus détaillée sera envoyée dans les prochains jours. Elle aura été rédigée en concertation avec la Fédération des associations de parents de l'enseignement officiel (FAPEO) et les syndicats, comme c'est le cas depuis le début de cette crise.

Dans l'enseignement qualifiant, des modalités pourront être proposées aux élèves pour lesquels le jury de qualification ne serait pas en mesure d'attribuer la certification de qualification fin juin. Ils auront notamment la possibilité de prolonger exceptionnellement leurs études jusqu'au 1er décembre 2020, au plus tard. Au terme de cette période, le certificat de qualification et le certificat d'enseignement secondaire supérieur (CESS) leur seraient délivrés. Il est entendu que si les conditions de certification sont réunies plus rapidement par un élève, la diplomation pourrait être actée à une date antérieure au 1er décembre à l'initiative du conseil de classe. Ces décisions devront être accompagnées d'un suivi et d'un enseignement spécifiquement adapté et orienté sur les difficultés de l'élève. Cet enseignement portera donc uniquement sur les modules non acquis. Les modalités précises de cette prolongation éventuelle feront l'objet d'une prochaine circulaire après concertation avec les acteurs de l'enseignement qualifiant.

J'en viens maintenant à la question des exclusions et des non-réinscriptions. Cette question est très problématique. Certains élèves qui étaient, par exemple, en procédure d'exclusion pendant cette période sont aujourd'hui dans un flou juridique total. Nous avons demandé à l'administration de les identifier afin de pouvoir, au cas par cas, les soutenir ainsi que leur famille. Il en va de même pour les non-réinscriptions, sur lesquelles nous sommes aussi en train de travailler. Madame Schyns, l'enseignement spécialisé est effectivement un sujet très important, mais je m'exprimerai à ce sujet tout à l'heure quand je répondrai à la question de M.Di Mattia, qui traite particulièrement de cette thématique.

Le Code de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire définit le travail à domicile comme le travail personnel réalisé en dehors des cours. Les travaux à domicile tels que nous les concevons dans les circulaires 7515, 7541 et 7550 correspondent dans les grandes lignes à la définition que je viens de rappeler, le travail devant pouvoir être rempli en parfaite autonomie à la maison.

Concernant la continuité des apprentissages, la circulaire 7550 prévoit deux cas de figure selon que les élèves puissent ou non reprendre les cours le 18 mai. Pour les classes qui reprendront à cette date, outre la consolidation des connaissances travaillées pendant le confinement, de nouveaux apprentissages seront proposés aux élèves présents en classe, accompagnés des enseignants. Ces nouveaux apprentissages devront se limiter aux savoirs de base et aux connaissances essentielles à acquérir pour parachever au mieux l'année d'études. Sans rentrer dans la définition des savoirs de base et des apprentissages prioritaires, vu le nombre limité de jours et de classes qui reviendront à l'école, nous laissons aux professeurs, aux établissements et aux pouvoirs organisateurs (PO) le soin de déterminer les matières en bonne intelligence. Cette logique d'aller-retour entre le présentiel et l'enseignement à distance va nous donner un peu d'air dans l'acquisition des apprentissages et nous permettre d'aller vers l'approche pédagogique de la classe inversée.

Enfin, concernant l'absence des élèves, il conviendra d'agir de manière proportionnée. Là aussi, fions-nous au bon sens des enseignants. Si une majorité d'élèves est présente, le professeur pourra fonctionner comme dans le cas d'une absence pour maladie. La circulaire insiste bien sur le fait que, dans ce cas, l'enseignant doit s'assurer d'entrer en contact avec l'élève et sa famille et afin de savoir pourquoi il n'est pas présent à l'école. Qu'il s'agisse d'un problème de santé ou de la crainte des parents, les raisons sont légitimes, mais nous devrons nous assurer que les élèves absents bénéficient des mêmes apprentissages, d'autant plus s'ils sont nouveaux. Toutefois, si seulement 10% des élèves sont présents dans une classe, il sera difficile d'aborder de nouveaux apprentissages. Encore une fois, je préconise de voir au cas par cas, mais il est encore difficile de faire des prédictions. Pour ces élèves-là, des travaux à domicile peuvent être donnés pour les jours où ils ne sont pas présents à l'école. Ces travaux doivent s'inscrire dans les balises habituelles du travail à domicile. Je compte sur ce temps présentiel pour redonner un peu de souffle au système. C'est dans cet état d'esprit que nous espérons reconnecter un maximum d'années d'étude à l'école d'ici la fin de l'année. Les semaines du 18 mai et du 25 mai sont planifiées. La suite est inconnue et il faudra d'abord dresser un bilan avec les experts pour voir où nous en sommes par rapport à la crise sanitaire. Nous proposerons évidemment la même chose aux autres années si c'est possible.

Pour les classes qui ne reprendront pas les cours le 18 mai, les balises précitées restent d'application jusqu'à ce qu'une reprise partielle soit possible. Pour le moment, les travaux continueront à porter sur des apprentissages qui ont été abordés en classe et qui doivent s'inscrire dans une logique de remédiation, de consolidation et de dépassement. Je comprends vraiment tous les points que vous soulevez. Nous en avons d'ailleurs régulièrement discuté. Les travaux ne portent pas uniquement sur des révisions au sens strict. La majorité des enseignants proposent un travail intelligent dans cette logique, ainsi que dans celle de dépassement qui peut être exploitée. D'après les enquêtes menées par la Fédération des associations de parents de l'enseignement officiel (FAPEO) et le Secrétariat général de l'enseignement catholique (SeGEC), les enseignants proposent plusieurs heures de travail par jour et fixent parfois même un calendrier des tâches aux élèves. Les enseignants et les élèves ne se tournent donc pas les pouces pendant cette période. Il ne faut pas sous-estimer les difficultés que cela pose, en particulier aux familles défavorisées.

Monsieur Soiresse Njall, avant le confinement, j'avais déjà rencontré à deux reprises la Coalition des parents de milieux populaires. Depuis lors, nous avons encore discuté par visioconférence afin d'avoir leur retour sur la façon dont le travail à domicile est géré ainsi que sur l'ensemble des problèmes liés au confinement. C'était très important de connaître leur avis. Vous imaginez bien les problèmes auxquels sont confrontées les familles défavorisées en matière d'accompagnement pédagogique, d'équipement informatique de base, etc. De manière plus générale, entre les parents qui travaillent, ceux qui télétravaillent et ceux qui ne possèdent pas les compétences pédagogiques nécessaires pour accompagner leurs enfants, les familles font toutes face à de nombreuses difficultés. Accompagner les enfants de l'enseignement primaire est encore relativement facile, mais pour ceux de l'enseignement secondaire, c'est vraiment très compliqué à gérer. Nous en avons beaucoup discuté avec les acteurs, y compris avec les fédérations d'associations de parents. Personne ne souhaite aller au-delà de la logique et des balises qui ont déjà été fixées, car il serait tout simplement impossible d'avancer dans une logique de nouveaux apprentissages sans creuser davantage les inégalités, non seulement entre les élèves, mais aussi entre les établissements. Ce n'est pas une question de fainéantise ou de manque d'ambition par rapport à nos homologues flamands. Nous souhaitons seulement éviter de trop mettre sous pression le système et les familles au risque de tout devoir reprendre à zéro par la suite. Il faut bien garder cela en tête. L'important aujourd'hui, c'est que les élèves ne perdent pas le contact avec les écoles, ce qui est déjà en soi tout un travail, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure. En effet, dans certaines communes, des enseignants vont même jusqu'à sonner à la porte de certains élèves dont ils ont tout à fait perdu la trace! Il s'agit là de leur première mission. En outre, les enseignants sont tenus d'entretenir une routine de travail. Même dans une logique de dépassement, énormément de choses peuvent être faites. Beaucoup de choses ont été mises en place. Je le répète: l'investissement des enseignants doit être souligné. Certains d'entre eux passent des heures, encore plus que d'habitude, à faire des corrections personnalisées pour soutenir leurs élèves. Eux non plus n'étaient pas préparés à cette situation! Certains étaient plus aguerris que d'autres à l'usage des outils informatiques. Or des initiatives merveilleuses voient le jour, tant au niveau de l'alimentation en contenus didactiques sur des plateformes numériques que de cours à distance.

Chacun fait ce qu'il peut, de son mieux, pour faire face à la crise. Mais à ce stade-ci, il ne faut pas mettre les familles dans une situation totalement intenable. Après bon nombre de concertations, nous avons trouvé un point d'équilibre avec les acteurs concernés. Ces derniers ne sont pas très inquiets sur les retards en termes d'apprentissages de manière générale. Néanmoins, cela dépendra de ce que nous allons vivre à la rentrée de septembre. En effet, nous ne sommes pas inquiets du retard des apprentissages si cela se limite à la fin de l'année en cours. Celle-ci aura été une année très particulière, ce que nous pouvons tout à fait concevoir, car il faut envisager les retards sur une scolarité de douze années, non pas uniquement sur l'année scolaire en cours.

En revanche, il faut évidemment plancher sur la rentrée prochaine, et c'est ce que nous faisons, malgré toutes les incertitudes qu'elle génère, puisqu'on ne sait pas à quoi elle ressemblera. J'espère évidemment que nous pourrons reprendre l'école comme avant avec l'ensemble des élèves présents tout le temps. Mais si nous devons encore respecter, par exemple, ces fameuses mesures de distanciation sociale, nous ne pourrons certainement pas accueillir tout le public scolaire en même temps! Dans ce cas, nous devrons être mieux préparés et envisager éventuellement une autre façon de faire l'école. Mais cela sera plus facile s'il y a un pourcentage de temps en présentiel à l'école. Nous y travaillons donc et à la demande de notre ministre-président, lui-même en charge du volet «égalité entre les familles», nous avons réuni un groupe de travail impliquant tous les acteurs du gouvernement. Le ministre Daerden, qui a l'informatique dans ses attributions, en fait aussi partie. Car si nous avions une stratégie numérique en cours dans le cadre du Pacte pour un enseignement d'excellence, d'autres questions sont ici soulevées. Pourquoi ne pas profiter de cette crise pour en faire une opportunité? C'est ce que nous allons faire! Mais la crise a été si soudaine... Dans la stratégie numérique, notre ambition était d'équiper les classes en ordinateurs et de les connecter, l'objectif n'était pas de connecter toutes les familles. L'enjeu actuel est complètement différent et les défis sont énormes. D'après la FAPEO, une enquête auprès de 5000 répondants a révélé que seulement 44% des enfants dans l'enseignement secondaire ont un ordinateur personnel et 12% dans l'enseignement primaire. Cela signifie aussi que les familles se partagent un ordinateur... D'ici septembre, nous aurons plus de temps pour tout organiser et préparer les choses de manière efficace.

Nous n'avons pas encore abordé la question des vacances d'été avec les acteurs. Nous reviendrons donc sur le sujet.

Dans notre stratégie pour la rentrée de septembre, nous prévoyons des périodes de remédiation pour les élèves en difficulté, dont la réussite serait conditionnée par de la remédiation obligatoire en septembre. Peut-être devons-nous également mettre en œuvre une stratégie de remédiation collective, si des apprentissages manquent pour aborder l'année suivante. Tout le monde aura perdu quelques mois d'apprentissage et le système éducatif devra s'adapter. Au-delà du maintien du lien social, nous avons invité les enseignants à déterminer, au sein de chaque groupe-classe, les élèves qui devront faire l'objet d'un suivi plus spécifique. Si les circonstances sanitaires et organisationnelles le permettent, ces élèves, quelle que soit leur année d'études, pourront être invités à se rendre à l'école pour renouer le contact avec les enseignants, un jour par semaine au maximum, dès le 25 mai prochain. Nous devons activer cette mesure là où c'est nécessaire pour éviter de creuser davantage les inégalités avec ces publics fragiles.

Enfin, je tiens à rappeler que, quels que soient les canaux utilisés, numériques, télévisés, en papier ou autres, et la qualité des outils mis à disposition pour permettre un enseignement à distance, rien ne peut remplacer l'enseignant dans sa classe en présentiel avec ses élèves.

Je vous signale par ailleurs que nous avons collaboré, avec succès, avec la RTBF et les services de la Fédération Wallonie-Bruxelles, pour créer un programme de télévision scolaire et ludique, destiné aux élèves de l'école primaire. N'hésitez pas à le diffuser.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Madame la Ministre, en ce qui concerne l'apprentissage de nouvelles matières à distance, j'ai pu lire dans un récent article de presse que vous n'étiez pas opposée en soi à cet apprentissage, mais que votre réflexion n'était pas arrêtée. Je comprends aujourd'hui que votre décision est prise et que vous êtes plutôt réticente à l'apprentissage de nouvelles matières d'ici la fin de cette année scolaire. La réflexion mérite tout de même d'être approfondie dès maintenant puisqu'il s'agit de penser à la prochaine rentrée scolaire.

Bien entendu, il ne faut pas que ces apprentissages de nouvelles matières aient pour conséquence de renforcer les inégalités. Certains élèves ne disposent pas d'ordinateur, d'autres n'ont pas de connexion internet. Pour pallier ce problème, votre gouvernement a pris des initiatives au niveau du numérique pour tenter d'équiper les élèves. Ceux qui n'en disposent pas, ne pourraient-ils pas rejoindre les élèves en difficulté qui seront invités à retourner en classe à partir du 25 mai à concurrence d'un jour par semaine? En fonction du nombre d'encadrants qui seront présents dans les écoles, on pourrait peut-être inclure ces élèves dans ce groupe-classe?

En ce qui concerne la méthode de la pédagogie inversée, elle ne nécessite pas d'outil informatique particulier puisqu'un simple smartphone suffit ou bien une clé USB ou un DVD qu'on peut diffuser sur une télévision. Peut-être que beaucoup d'élèves n'ont pas d'ordinateur, mais beaucoup d'élèves disposent d'une télévision ou dont les parents ont un smartphone.

Des méthodes de ce type pourraient être partiellement mises en place durant les mois de mai et juin et leur utilisation pourrait alors être évaluée durant les vacances de juillet et août en vue de leur généralisation éventuelle à la rentrée. On sait de toute manière que la rentrée de septembre sera chamboulée.

Et pourquoi pas une perpétuation de ces pratiques innovantes à l'avenir, car elles me paraissent entrer dans la philosophie du Pacte pour un enseignement d'excellence, non seulement en termes d'innovation pédagogique via des outils numériques, mais aussi en termes de différenciation et de remédiation. Je ne doute pas que vous analyserez ces pistes de solution en concertation avec les acteurs de terrain et qu'on en reparlera au sein de cette commission.

Enfin, je salue la souplesse dont devront faire preuve les conseils de classe pour décider si un élève a réussi ou non son année, tout comme le fait que les critères d'appréciation des éventuels recours seront modulés. Je sais que vous y travaillez et le but est évidemment que les élèves ne soient pas pénalisés par la situation exceptionnelle qu'ils subissent actuellement.

Je ne manquerai pas de prendre connaissance avec attention de vos prochaines circulaires plus détaillées sur ces aspects et j'en profite enfin, Madame la Ministre, pour également vous remercier pour votre travail soutenu ainsi que celui de vos collègues du gouvernement. On voit dans la presse et les réseaux sociaux beaucoup de critiques envers les ministres de tous les partis confondus, mais on ne se rend pas compte du travail que vous avez. Je tenais à le souligner.