Questions sur l'enseignement artistique dans les écoles et les académies

26/05/2020

Questions orales jointes de Mme Stéphanie Cortisse à Mme Caroline Désir, Ministre de l'Éducation, 1) sur les collaborations entre les écoles et les académies dans le cadre du Parcours d’Éducation Culturelle et Artistique (PECA), 2) sur les filières de transition dans l'enseignement secondaire artistique à horaire réduit (ESAHR) et 3) sur la rémunération des professionnels de l'ESAHR

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Madame la Ministre, la majorité des questions qui vous sont posées dans cette Commission depuis plusieurs semaines sont naturellement liées à la gestion de l'enseignement face à la crise sanitaire du Covid-19. Malgré la charge de travail importante que nous impose cette crise, comme vous l'avez déjà souligné, nous devons poursuivre en parallèle le travail de fond.

C'est la raison pour laquelle je me permets de vous poser quatre questions relatives à l'enseignement artistique, que ce soit dans l'enseignement obligatoire ou dans l'enseignement artistique secondaire à horaire réduit (ESAHR).

Mes interventions sont inspirées de mes rencontres de terrain qui ont eu lieu juste avant la période de confinement. Pour ceux qui en doutaient encore, la crise sanitaire aura au moins eu pour effet de mettre en lumière l'importance de la culture dans notre société.

1. Ma première question concerne les collaborations entre les écoles et les académies pour ce qui est du Parcours d’Éducation Culturelle et Artistique (PECA).

Dans le cadre du vaste chantier que représente le Pacte pour un enseignement d'excellence, la Fédération Wallonie-Bruxelles s'est donné pour objectif d'intégrer davantage la culture au sein du parcours scolaire. Les activités artistiques et culturelles sont en effet essentielles au développement de l'enfant, car à la base de l'action, de l'expression et du développement de la créativité et de l'imaginaire.

Le nouveau tronc commun comprendra ainsi l'instauration d'un Parcours d’Éducation Culturelle et Artistique (PECA) pour tous les élèves, tout au long de leur scolarité, de la maternelle à la fin du secondaire.

Ce parcours repose sur trois composantes: des connaissances, des pratiques artistiques et des rencontres avec les œuvres et les artistes.

Le PECA est balisé par quatorze propositions. Parmi celles-ci, l'élaboration de partenariats entre acteurs du monde de l'école et du monde de la culture a particulièrement retenu mon attention.

Le Pacte prévoit plus précisément qu'une collaboration privilégiée doit être envisagée avec les académies et évoque quatre pistes : l'organisation des cours de formation musicale en filière préparatoire dans le temps et dans l'espace scolaire; l'organisation de cours et d'ateliers dans le temps et l'espace scolaire; des résidences d'artistes; et des projets spécifiques s'apparentant aux projets de collaboration durable ou ponctuelle auxquels les académies pourraient souscrire.

Si de telles collaborations pourraient être très bénéfiques, il ressort toutefois de mes rencontres de terrain qu'actuellement, les collaborations entre l'enseignement secondaire artistique à horaire réduit (ESAHR) et l'enseignement obligatoire seraient peu fructueuses.

Madame la Ministre, confirmez-vous que les collaborations actuelles entre l'ESAHR et l'enseignement obligatoire ne sont pas facilement mises en œuvre? Dans l'affirmative, quelles en sont les raisons?

Comment faire en sorte que des enseignants de l'ESAHR collaborent effectivement avec l'enseignement obligatoire, dans le cadre des nombreux projets prévus par le Pacte au sein du PECA?

Les heures passées à collaborer avec les écoles seront-elles reprises dans les horaires des enseignants qui enseignent normalement dans les académies, à la place d'heures de cours dispensées au sein de ces académies?

La déclaration de politique communautaire, qui est la feuille de route de votre gouvernement, prévoit que le gouvernement propose de permettre aux enseignants de l'enseignement secondaire artistique à horaire réduit de donner cours dans l'enseignement fondamental, afin de répondre aux objectifs du Pacte, sans autre précision. J'aimerais vous entendre sur ce point, Madame la Ministre.

2. Ma deuxième question concerne les filières de transition.

Le gouvernement affiche dans la DPC son plein soutien à l'ESAHR en proposant huit mesures, parmi lesquelles la considération de ce dernier «à sa juste valeur», en conservant le rôle social par «la gratuité de l'inscription pour certaines catégories d'étudiants» ou encore en élaborant «des solutions soutenables budgétairement pour rencontrer les besoins urgents» en locaux et en matériel.

Au cours de mes rencontres de terrain, une question non reprise dans la DPC est revenue à plusieurs reprises. J'apprends que plusieurs établissements ont supprimé leurs filières d'enseignement de transition au profit d'autres filières qui permettraient d'attirer de nouveaux élèves, et ce, en raison de l'enveloppe fermée à laquelle les établissements sont soumis depuis l'entrée en vigueur du décret du 2 juin 1998 organisant l'enseignement secondaire artistique à horaire réduit subventionné par la Communauté française.

Or, s'il est contre-productif de maintenir des filières qui ne rencontrent aucun succès, les filières de transition, comprenant les années terminales des cours artistiques de base, dans une forme renforcée d'organisation des études, représentent un gage de qualité pour les établissements, en permettant à des élèves d'atteindre un haut niveau de connaissances artistiques reconnu par un diplôme ou encore d'accéder à des études supérieures artistiques plus facilement.

Madame la Ministre, avez-vous connaissance d'une telle problématique?

Combien d'établissements de l'ESAHR ont-ils fermé leurs filières de transition? Quels ont été les motifs avancés pour justifier ces fermetures? Était-ce pour des raisons budgétaires, par manque de fréquentation ou pour créer de nouvelles filières plus attirantes? Dans ce dernier cas, lesquelles?

3.  Ma troisième question concerne la rémunération des professionnels de l'ESAHR.

Pour rappel, la déclaration de politique communautaire (DPC) précise que «le gouvernement entend davantage soutenir l'enseignement artistique et ses personnels» et propose de «mettre fin à certaines inégalités barémiques des enseignants et leur permettre des rémunérations adéquates en tant que maîtres de stage».

Madame la Ministre, mes collègues Charles Gardier et Joëlle Maison vous ont déjà interrogée à cet égard lors des commissions des 14 janvier et 3 mars 2020. J'ai moi-même été interpelée à de multiples reprises sur cette question par des directeurs d'établissement et des enseignants et me permets dès lors de revenir vers vous.

Quatre problématiques ont été pointées.

Le premier point concerne l'accès au barème 501 pour la rémunération des enseignants titulaires d'un master à finalité didactique dans la spécialité enseignée ou d'un master à finalité spécialisée couplé à l'agrégation de l'enseignement secondaire supérieur (AESS), moyennant la réussite d'un module de 60 périodes de pédagogie de l'enseignement artistique, conformément au décret du 25 avril 2019 portant exécution du Protocole d'accord sectoriel 2017-2018 entre le gouvernement de la Communauté française et les organisations syndicales et les organes de représentation et de coordination des pouvoirs organisateurs. Cela concernerait plus de 600 professeurs de l'ESAHR.

Vous avez précisé en janvier qu'un groupe de travail portant sur le contenu de cette formation a été constitué en 2019 au sein de l'actuel Conseil général de l'ESAHR, que ce groupe devrait remettre ses conclusions au printemps prochain et qu'elles donneront lieu à un avis dudit Conseil général, avis à soumettre à votre approbation. En mars, vous aviez précisé avoir reçu récemment des propositions de contenu issues de ce groupe de travail.

Par ailleurs, vous avez ajouté que la planification de cette formation complémentaire et obligatoire devait faire l'objet d'une étude juridique approfondie de votre administration, étant donné que la base réglementaire adoptée durant la législature précédente n'est pas totalement exhaustive, notamment en ce qui concerne la définition des compétences visées par ce module pédagogique, les conditions minimales d'assiduité pour présenter l'évaluation, et surtout l'établissement d'une priorité si les formations ne peuvent pas toutes être organisées simultanément.

Enfin, vous avez ajouté que vos collaborateurs étaient chargés de préciser les modalités pratiques de l'organisation du module de formation et d'identifier les organismes de formation potentiels.

Madame la Ministre, disposez de l'avis du Conseil général de l'ESAHR? Qu'en est-il? L'avez-vous approuvé?

Disposez-vous des résultats de l'étude juridique complémentaire de l'administration?

Votre cabinet a-t-il effectué les démarches nécessaires pour définir les modalités pratiques de l'organisation de la formation?

Cette première problématique porte donc sur la rémunération du personnel de l'ESHAR, tandis que la deuxième concerne un problème soulevé par ma collègue, Madame Maison. Depuis l'entrée en vigueur de la circulaire 7469 du 13 février 2020 portant sur la gestion administrative du nouveau régime barémique, 108 professeurs sont aujourd'hui affectés par une révision à la baisse de leurs barèmes. Vous aviez précisé que vous chargeriez votre administration d'examiner leur situation particulière.

Madame la Ministre, avez-vous reçu un retour de votre administration sur cette question et quel en est le résultat?

Le troisième point concerne la revalorisation de la rémunération des directeurs. Je sais qu'il s'agit d'un vaste chantier inclus dans le cadre plus général de la revalorisation de la fonction de chef d'établissement scolaire. Cet objectif fait partie intégrante du protocole sectoriel 2019-2020 et de la DPC. Vous aviez précisé que le travail devait se poursuivre et j'aimerais donc connaître l'état d'avancement du dossier.

Enfin, pour ce qui est des maîtres de stages, vous aviez confirmé à mes collègues, que, comme les professeurs de l'enseignement de promotion sociale, les enseignants de l'ESHAR ne sont pas rémunérés quand ils exercent la mission de maître de stage. Vous aviez annoncé votre intention de collaborer avec votre collègue la ministre Glatigny pour corriger cette injustice, ce dont je ne peux que me réjouir. Madame la Ministre, avez-vous pu vous concerter avec votre collègue à ce sujet? Pouvez-vous nous dresser un état des lieux des réflexions en cours?

Mme Caroline Désir, ministre de l'Éducation.- Tout comme vous, Madame la Députée, je suis très attentive au secteur de l'ESAHR, même si j'ai parfois le sentiment que certains minimisent un peu le dialogue instauré entre mon cabinet et les représentants des académies, ainsi que ma volonté de faire bouger les lignes.

Force est cependant de reconnaître que la crise sanitaire actuelle entraîne du retard dans certaines dynamiques que j'ai lancées et que les difficultés inhérentes à ce dossier sont nombreuses.

1. En ce qui concerne les rémunérations, le groupe de travail que vous évoquez a bien remis ses conclusions au Conseil général de l'ESAHR. Lors de sa prochaine réunion en juin, celui-ci devra se positionner sur le contenu des formations et sur les conditions de leur mise en œuvre, y compris une éventuelle priorisation à l'inscription.

En attendant l'avis formel du Conseil général, nous avons déjà rencontré les représentants des pouvoirs organisateurs et ceux des organisations syndicales pour aborder à nouveau l'épineuse question du module de formation.

Quant à l'analyse et à l'exhaustivité de la base réglementaire adoptée durant la législature précédente, il semble que seul un décret permette de donner une assise juridique solide à cette formation. En effet, s'il apparaît que le législateur envisageait une exécution sous forme d'un arrêté d'exécution organisant le module et les conditions d'octroi du certificat attestant de sa réussite, la mise en œuvre concrète du projet pourrait bien impliquer d'apporter des modifications dans les textes décrétaux portant sur le financement ou l'organisation de l'enseignement.

J'attends également du Conseil général qu'il prenne position dans son avis formel quant à l'opérateur de formation qui lui semblera le plus pertinent. Cela étant, le budget pour la réalisation de cette formation n'a pas été prévu par le gouvernement précédent et je devrai donc le demander lors des travaux budgétaires qui sont promis à la rentrée.

Concernant la modification de barème de certains enseignants de l'ESAHR, j'ai -comme convenu -chargé l'administration d'examiner leur situation particulière. Le surcoût annuel serait de l'ordre de 50.000 euros sur la base du volume d'emplois actuel. Je proposerai également d'inscrire ce montant lors des prochains travaux budgétaires.

Je ne peux que confirmer les éléments déjà apportés en matière de revalorisation de la rémunération des directeurs.

Enfin, en réponse à votre question concernant la mission de maître de stage, cette dernière devra faire l'objet d'une réflexion dans un cadre englobant la mise en œuvre de la formation initiale des enseignants.

2. Les collaborations actuelles entre l'ESAHR, structure d'enseignement à part entière, et l'enseignement obligatoire pourraient davantage être développées, j'en conviens et c'est d'ailleurs bien mon intention.

Les modalités d'une collaboration accrue entre l'ESAHR et l'enseignement obligatoire dans le cadre du PECA font l'objet des discussions actuelles au sein des groupes de travail du Pacte pour un enseignement d'excellence. Il s'agit d'une piste sur laquelle cette coopération est appelée à se développer, mais nous devrons en attendre les conclusions avant de nous prononcer.

Il serait prématuré de déterminer les conditions auxquelles les enseignants de l'ESAHR pourraient prester dans l'enseignent fondamental afin de répondre aux objectifs du Pacte pour un enseignement d'excellence, sans évaluer au préalable l'impact que pourrait avoir l'organisation de cours dans l'enseignement obligatoire sur la stabilité de l'ESAHR et sur la situation de chacun de ses établissements.

3. Mon administration ne m'a pas signalé de problématiques particulières relatives à la suppression de filières de transition au profit d'autres filières au sein de l'ESAHR. Leur organisation est facultative et relève de la liberté d'appréciation des pouvoirs organisateurs de l'établissement.

Pour cette filière de transition, la situation est très variable d'un domaine d'enseignement à l'autre.

Lors de l'année scolaire 2018-2019, 48 établissements sur 92 l'ont organisée dans le domaine de la musique pour un nombre d'élèves toutefois très réduit, à savoir 701 inscriptions, soit 1,27% du total des inscriptions. Aucun établissement sur 87 ne l'a activée dans le domaine des arts de la parole et du théâtre. 3 académies sur 62 l'ont ouverte dans le domaine de la danse où nous dénombrons 78 inscriptions, soit 0,69% du total des inscriptions. 23 établissements, tous habilités, l'ont mise en œuvre dans le domaine des arts plastiques avec ici 2090 inscriptions, soit 17% du total des inscriptions.

Ces chiffres démontrent que la filière de transition n'a rencontré de réel succès que dans les écoles des beaux-arts.

Le fait que la filière de transition consomme davantage de moyens que les autres filières n'est sans doute pas la seule raison de son manque de succès. Des choix pédagogiques ont aussi pu jouer de même qu'une dimension régionale. En Région de Bruxelles-Capitale, qui comprend plusieurs établissements importants, la filière de transition n'est plus activée que dans un seul des 17 établissements. En province de Liège, par contre, 13 établissements sur 14 l'ont maintenue.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Madame la Ministre, je suis convaincue que vous vous impliquez au maximum, tant pour l'enseignement obligatoire que pour l'ESAHR, et je sais que vous entretenez un dialogue étroit avec le secteur. J'ai d'ailleurs reçu des échos très positifs à cet égard.

En ce qui concerne les collaborations entre les académies et les établissements scolaires, il sera effectivement nécessaire que nous entamions une réflexion à ce sujet pour voir comment améliorer ces collaborations. Je comprends qu'il est encore prématuré de parler des horaires des enseignants de l'ESAHR; nous devrons trouver un équilibre pour éviter que l'ESAHR soit déserté par les enseignants qui devront aller dans les écoles. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

Les filières de transition sont évidemment sujettes à la liberté pédagogique, mais nous devons tout faire pour les promouvoir si elles ne sont pas assez fréquentées. Elles sont à la fois importantes pour les étudiants et bénéfiques pour la qualité de notre enseignement.

Enfin, au sujet de la rémunération des professionnels, il va de soi que la crise sanitaire a été un bouleversement; je comprends donc les retards et suivrai ce dossier avec attention.

Ceci clôture ma série de questions relatives à l'enseignement artistique et, comme je l'ai déjà mentionné, la culture occupe une place vraiment primordiale dans notre société. Or, comme le prévoit votre circulaire 7550 du 25 avril 2020, et conformément aux décisions du Conseil national de sécurité, les académies resteront fermées jusqu'à la rentrée de septembre. Il était donc important d'apporter des éléments de réponse aux interrogations légitimes de ce secteur en vue d'une reprise de ses activités dans de meilleures conditions. Je ne manquerai d'ailleurs pas de suivre également les travaux du groupe de travail que vous avez constitué pour traiter de tous les impacts de la crise sanitaire sur le secteur de l'ESAHR et organiser la préparation de la prochaine rentrée.