Question sur la réforme du Décret Paysage

26/05/2020

Question de Mme Stéphanie Cortisse à Mme Valérie Glatigny, Ministre de l'Enseignement supérieur, sur la modification du Décret du 7 novembre 2013 définissant le paysage de l'enseignement supérieur et l'organisation académique des études (décret «Paysage») et en particulier du parcours individualisé de l'étudiant dans l'enseignement supérieur.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- Madame la Ministre, depuis votre entrée en fonction, vous avez été amenée, à de nombreuses reprises, à vous exprimer au sujet de la modification à venir du décret du 7 novembre 2013 définissant le paysage de l'enseignement supérieur et l'organisation académique des études (décret «Paysage»).

La Déclaration de politique communautaire (DPC) prévoit en effet qu'au vu des taux d'échec trop importants dans l'enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles, le gouvernement entend «procéder à une évaluation avec un comité d'experts internationaux et les acteurs de terrain, dont l'Académie de recherche et d'enseignement supérieur (ARES) du décret «Paysage» et ajuster le parcours individualisé de l'étudiant afin de renforcer sa réussite, de réduire les contraintes administratives et d'éviter un allongement de la durée de ses études». Le gouvernement entend ensuite «modifier le décret en fonction des résultats de l'évaluation».

Le système actuel d'accumulation de crédits, qui a remplacé le système d'années d'études, entraîne, comme vous l'avez déjà souligné, des effets pervers. Un étudiant peut passer au bloc suivant s'il a obtenu 45 crédits sur 60. Il peut donc penser avoir réussi, mais se trompe, car les 15 crédits résiduels devront tôt ou tard être réussis pour que le bloc soit validé. De nombreux étudiants, mal informés, se leurrent ainsi sur la réussite de leur parcours antérieur et ont tendance à reporter sur l'année suivante des cours qui alourdissent leur «sac à dos», parfois sans même tenter de passer les examens en seconde session. Ces étudiants perdent ainsi les notions de réussite et d'échec et finissent par ne jamais terminer leurs études.

Ce système a également pour conséquence d'alourdir considérablement la charge de travail du personnel académique et administratif des établissements d'enseignement supérieur qui ne doit plus s'occuper de groupes d'étudiants, mais bien d'une somme de cas individuels, dont le parcours académique diffère d'un à l'autre. Ce travail supplémentaire concerne l'accompagnement et l'information des étudiants, la composition des horaires, la disponibilité des locaux ou l'adaptation des programmes de cours.

Lors de la réunion du 19 novembre dernier de la Commission, Madame la Ministre, vous avez précisé que l'évaluation du décret «Paysage» en collaboration avec les acteurs de terrain, telle que prévue par la DPC, allait avoir lieu très prochainement et que vous souhaitiez voir la révision de ce décret effective pour la rentrée 2021.

Vous avez ajouté que vous vous concentreriez à cet effet sur cinq pistes essentielles permettant de retrouver un équilibre entre la confiance dans la capacité d'autogestion des étudiants et une structuration plus claire du parcours pédagogique : clarifier la notion de réussite; donner une meilleure information aux étudiants sur les conséquences de leurs choix de programme annuel et donc sur les reports de crédits; simplifier la charge administrative des établissements d'enseignement supérieur en passant d'une logique de programme à la carte à une logique de cohorte d'étudiants; aider les établissements à rétablir un parcours pédagogique cohérent pour retrouver une gradation dans l'acquisition des savoirs; travailler sur la transition entre l'enseignement obligatoire et l'enseignement supérieur avec votre collègue Caroline Désir (je tiens à préciser que, pour ma part, j'aborde régulièrement le sujet en Commission de l'Éducation).

Le 28 janvier dernier, vous avez annoncé qu'après avoir rencontré l'ensemble des responsables d'universités, de hautes écoles et d'Écoles supérieures des arts (ESA), vous réfléchissiez à des dispositions modificatives du décret «Paysage» et qu'en ce qui concerne la première des cinq pistes précitées, soit la notion de réussite, vous travailliez en particulier sur celle qui conditionne le passage du bachelier vers le master.

Lors de la réunion du 11 février de la Commission, interrogée par Mme Schepmans, vous avez déclaré que votre intention n'était pas d'abroger ou de modifier fondamentalement le décret «Paysage» et que vous estimiez que l'accumulation progressive des crédits restait pertinente, car cela responsabilise les étudiants, mais qu'il fallait en revanche corriger les effets pervers que je viens de citer. Vous avez ajouté que le processus de consultation informelle sur la réforme du décret se poursuivait et que vous alliez lancer prochainement le processus de consultation formelle.

Madame la Ministre, mon intention première était de vous poser une question d'actualité à ce sujet lors d'une précédente séance plénière, mais la crise sanitaire nous a contraints à interrompre nos travaux dans le courant du mois de mars.

Le 12 mars, juste avant la période de confinement, le président du Conseil des recteurs des universités francophones (CRef), M.Pierre Wolper, avait proposé dans la presse de renforcer les critères de réussite, non seulement entre le bachelier et le master, mais aussi entre le bloc 1 et le bloc 2.

Madame la Ministre, où en est le processus d'évaluation du décret «Paysage» et, en particulier, du parcours individualisé des étudiants et du système d'accumulation de crédits?

Le comité d'experts prévu par la DPC a-t-il été installé? Je peux comprendre qu'il y ait eu du retard, compte tenu de la crise sanitaire. Quelle est la composition de ce comité?

Sur la base des différentes consultations menées de manière formelle et informelle, des pistes de réflexion concernant la modification des critères de réussite peuvent-elles déjà être dégagées et dans l'affirmative, pourriez-vous nous les exposer?

Enfin, dans quelle mesure le CRef sera-t-il associé à ces consultations? Que pensez-vous de la proposition de son président, qui me paraît très pertinente et qui vise donc à renforcer les critères de réussite?

Mme Valérie Glatigny, Ministre de l'Enseignement supérieur.- Madame et Monsieur les Députés, je tiens à vous rassurer d'emblée: ce dossier reste pour moi une priorité et je compte bien tenir le calendrier prévu, malgré la crise.

La DPC prévoit l'évaluation du décret «Paysage» et la modification de ses dispositions qui influenceraient négativement le parcours des étudiants, et ce, en vue d'augmenter le taux de réussite.

Depuis le mois de novembre 2019, j'ai donc demandé à mon cabinet de procéder à une série de consultations informelles des acteurs de terrain. Ainsi, de nombreuses réunions ont été organisées avec les responsables académiques des universités, des hautes écoles et des ESA, ainsi qu'avec les représentants de la Fédération des étudiants francophones (FEF), avec l'administration de l'ARES, avec les commissaires du gouvernement et avec la Direction générale de l'enseignement supérieur.

Sur la base de ces consultations informelles, mon cabinet travaille depuis le mois de février 2020 à la révision du décret.

En parallèle, j'ai interrogé le conseil d'administration de l'ARES pour obtenir une évaluation formelle du décret et j'ai chargé son administration de constituer le comité d'experts internationaux tel que prévu par la DPC. La crise sanitaire actuelle a évidemment retardé l'organisation pratique de cette consultation, mais celle-ci sera bien organisée.

La réforme du décret est toujours prévue et attendue par les acteurs de terrain pour la rentrée académique de 2021. Après les consultations informelles et la consultation du CA de l'ARES, j'envisage de soumettre un premier texte à la négociation.

En tout état de cause, les établissements devront impérativement disposer des modifications décrétales au printemps 2021 au plus tard afin de pouvoir préparer la rentrée académique qui suivra.

Le texte sera assorti de dispositions transitoires et s'appliquera aux nouvelles cohortes d'étudiants.

Il serait quelque peu prématuré de vous exposer en détail les pistes dégagées, celles-ci étant encore en cours d'analyse. Je peux néanmoins déjà préciser ma volonté de favoriser la réussite des étudiants et d'éviter les abandons tardifs. À ce titre, le CRef a été associé d'emblée à la réflexion, comme les autres acteurs de terrain, et j'ai personnellement rencontré ses membres dès le mois de janvier pour recueillir leur avis. J'ai bien pris note de la proposition visant à renforcer les critères de réussite, en particulier au début du parcours, et à rendre les parcours plus lisibles pour les étudiants. Je souscris d'ailleurs pleinement à ces objectifs.

La crise ne devrait avoir qu'un impact mineur sur la réforme du décret «Paysage», dans la mesure où elle a retardé l'évaluation du décret par le comité d'experts internationaux, qui n'a pas encore pu être constitué. Ce dossier, en ce qu'il devrait permettre de limiter fortement les abandons tardifs, reste toutefois prioritaire à mes yeux.

Enfin, s'il ne devait y avoir qu'une leçon à tirer de la crise dans le cadre de la réforme du décret, je dirais que c'est l'impérieuse nécessité de comprendre que l'étudiant, en particulier au début de son parcours académique, a réellement besoin de balises claires pour s'approprier son parcours. L'anxiété et le stress manifestés par bon nombre d'étudiants quant à la gestion de la crise et à l'organisation de la fin de l'année académique ont démontré que la grande majorité d'entre eux ont besoin de clarté, de balises et de l'appui du corps enseignant pour réussir leur parcours académique. Ils ont besoin, en particulier, de comprendre les conséquences d'un report de crédits à l'année suivante; le contexte de crise actuel risque d'ailleurs d'accentuer les problèmes liés à de tels reports.

Mme Stéphanie Cortisse (MR).- L'évaluation et la réforme du décret «Paysage» constituent un des gros chantiers de cette législature. Je me réjouis d'en suivre l'évolution et de savoir qu'il se poursuit malgré la crise actuelle.

Si je vous pose ces questions, Madame la Ministre, c'est parce que je suis attachée à un enseignement supérieur qui reconnaît la valeur du travail. La clarification des notions de réussite et d'échec est donc indispensable à mon sens.

Cette clarification permettra de réduire la durée des études, de simplifier la situation administrative des étudiants et des établissements et, in fine,de réaliser des économies importantes sans diminuer la qualité de notre enseignement supérieur, mais, au contraire, en la renforçant.

Enfin, la DPC précise que votre gouvernement a pour objectif d'entretenir un dialogue constant avec les acteurs de terrain de l'enseignement supérieur pour s'informer des demandes et améliorer constamment la qualité de cet enseignement. La proposition de la CRef devait dès lors, me semble-t-il, trouver écho au sein de cette Commission. Je vous remercie de bien vouloir en tenir compte dans vos réflexions futures.